Le président de la République a annoncé, hier, à partir du Palais des nations, un chiffre terrible qui renseigne sur l'urgence des réformes économiques. Dans son discours à l'occasion de l'installation du Conseil national économique, social et environnemental (Cnese), Tebboune a révélé que l'économie parallèle pourrait peser jusqu'à 10 mille milliards de dinars. Précisant qu'il est difficile d'évaluer avec exactitude la masse monétaire qui échappe au circuit bancaire, le chef de l'Etat a, néanmoins, fait cette estimation qui se rapproche de la réalité du terrain, dit-il, relevant que cela représente en devise forte, l'assommant montant de 90 milliards de dollars. Une puissance financière impressionnante qui circule en dehors des institutions habilitées de la République. Le président a cité ce danger qui pèse sur l'économie du pays, non pas comme une fatalité, mais au contraire, comme une opportunité réelle pour l'Algérie, appelée à le thésauriser dans le cadre d'emprunts nationaux. Le président Tebboune qui, dans la foulée, annonçait un équilibre de la balance commerciale pour l'année en cours, a exclu tout recours au FMI. «Si l'Etat doit emprunter, il ne s'adressera pas au FMI, mais aux Algériens», avec allusion directe à l'extraordinaire masse d'argent détenue par les Algériens et non bancarisée. Il reste que cet emprunt national, dont l'un des avantages est de garantir la souveraineté économique, donc politique du pays, est conditionné par d'ambitieuses réformes financières. Cela est évident. Et Tebboune, qui ne s'est pas formalisé sur la problématique de l'économie parallèle, a délivré un message clair aux membres du Cnese. En effet, sur la question de la thésaurisation, comme sur d'autres thèmes, il a instruit cette instance consultative à «formuler des recommandations nationales inédites.» En d'autres termes, le président demande aux experts, patrons et syndicalistes de sortir des sentiers battus, de ne pas faire du copier-coller sur des expériences réussies à l'étranger. Ce qui est valable ailleurs ne l'est pas forcément en Algérie. Le remède à «l'obésité» du marché illicite doit être trouvé localement, par des Algériens. Du pragmatisme, pas d'idéologie Le voeu du président est que le Cnese soit véritablement une usine d'idées adaptées aux réalités du pays. «Les sciences économiques figurent parmi les sciences humaines et sont donc liées à l'homme, aux civilisations, aux comportements, à la formation, aux modes de travail et à la consommation», a expliqué le chef de l'Etat. Place donc au génie économique national. Tebboune est convaincu qu'«il n'est pas possible d'imposer une orientation économique à un pays». Une approche qui relègue les idéologies et prône le pragmatisme dans la conduite des affaires de l'Etat. Le président de la République invite ainsi les éminences grises nationales à ne tenir compte que de l'intérêt immédiat et futur de l'Algérie et des Algériens. Les solutions ne seront pas teintées idéologiquement. «Il faudra, pour ce faire, compter sur des compétences algériennes, au fait de la situation, en mesure de l'analyser et d'y trouver des solutions», dira le président. La seule ligne rouge tient dans le caractère social de l'Etat. Sinon, il n'y a pas de limite à la réflexion, pour peu qu'elle débouche sur des propositions concrètes et réalisables en Algérie. On aura compris que la seule feuille de route que dresse Tebboune aux membres du Cnese est de faire leur travail. Le Conseil est «un espace de concertation», précisera-t-il et sa mission est de «consacrer un nouveau modèle économique». C'est dire que l'avenir économique du pays est aussi l'affaire des experts algériens, pas seulement des pouvoirs exécutif et législatif. Le président, qui croit fortement au génie algérien, l'enjoint à «proposer des recommandations susceptibles de préserver et de valoriser les acquis sociaux». Une feuille de route qui ouvre d'intéressantes perspectives à cette instance constitutionnelle qui prend un rôle déterminant dans l'Histoire immédiate de l'Algérie. Le nouveau poids du Cnese est d'autant plus historique que la diversification de sa composante l'amène à «représenter les différentes régions du pays et inclure la communauté algérienne à l'étranger, suivant les normes scientifiques acquises», indique le président Tebboune. Un capital humain renforcé par une présence féminine et juvénile remarquable. 3,2 Milliards de dollars gaspillés Un aréopage représentatif de la société et dont la mission est de susciter un débat fécond, sans tomber dans «le conflit entre institutions», prévient le chef de l'Etat. Le Cnese devra tenir compte de la stagnation qui mine l'administration, malgré les décisions prises par l'Etat. La peur des responsables de faire l'objet de poursuites judiciaires «n'a plus lieu d'être», a asséné Tebboune, affirmant avoir la protection des responsables des poursuites judiciaires. Le Conseil va pousser les opérateurs privés, aujourd'hui majoritaires, à moins compter sur les banques publiques qui les financent à hauteur de 85%. Cela doit cesser, dira le chef de l'Etat, rappelant les 3,2 milliards de dollars qui ont été «gaspillés pour rien» dans des opérations de montage automobile. Et le chef de l'Etat de déplorer: «Comment se fait-il qu'un pays qui compte 100 universités et 12 Ecoles, avec 250 000 universitaires diplômés chaque année, puisse recourir à l'importation de matériels en kits pour la fabrication de réfrigérateurs et de téléviseurs? Nous sommes censés produire ce matériel, voire l'exporter.» Autant de chantiers de réflexion pour le Cnese.