Devant son staff gouvernemental, des cadres de l'Etat, représentants d'associations syndicales et patronales et des membres du CNES, Ahmed Ouyahia, vraisemblablement irrité par les griefs retenus contre la politique de l'Exécutif sur un certain nombre de dossiers, a démonté l'argumentaire de ses contradicteurs sur un ton ferme, même s'il a de prime abord annoncé qu'il n'est pas venu faire «du ping-pong politicien». Plaidant une critique qui soit «conforme à la réalité des faits», Ouyahia s'offusque de la conclusion du CNES faisant ressortir que «le pays avance sans visibilité économique». Tout en réitérant que son équipe applique le programme du président de la République et que la visibilité, ce sont d'abord un programme et de l'action, le chef du gouvernement, sur un ton ironique, lance : «Si ce n'est pas ça, alors j'encourage le CNES à nous éclairer sur la visibilité.» C'est de la même manière d'ailleurs qu'il écorche le CNES quant à son évaluation du processus des privatisations engagé par l'équipe Ouyahia, considéré simple transfert de propriété de l'Etat au privé. «Dites-moi alors, c'est quoi les privatisations, si ce n'est un transfert de propriété», leur a-t-il signifié. Loin de déroger à sa règle, Ahmed Ouyahia a ensuite préféré l'éloquence des… chiffres. A ce propos, il fera remarquer que l'Algérie, qui compte céder encore un millier d'entreprises publiques, a réussi, en 4 ans, à privatiser quelque 210 entreprises moyennant des recettes évaluées à 3 milliards de dinars. Il n'a pas hésité à faire la comparaison avec la Tunisie, qui, dit-il, n'a vendu que 193 entreprises en 18 ans. C'est par les chiffres aussi qu'Ouyahia démontera les conclusions du CNES selon lesquelles l'aisance financière du pays n'a pas eu de répercussions positives sur l'activité économique. Et le chef du gouvernement d'énumérer les «prouesses» réalisées par son équipe, dont les chiffres sont confortés dans les rapports du CNES : une croissance globale de 5,2% en 2004 ; une croissance hors hydrocarbures et hors agriculture de 6,8% ; l'inflation à 3,6% ; un taux de chômage ramené à 17,7%, d'une hausse des revenus de 9% et d'une augmentation de la masse salariale de 36,5%, alors que les investissements étrangers directs s'élèvent, selon Ouyahia, à 6 milliards d'euros dont 2 milliards hors hydrocarbures. Le chef du gouvernement, par ailleurs, s'est montré outré devant les conclusions du CNES pour qui «le taux de change en Algérie est administré». «J'espère que vous mesurez la gravité de cette affirmation», a t-il lancé, non sans rappeler que l'Algérie a souscrit aux recommandations du FMI quant à la libéralisation du taux de change. Evoquant les contestations sociales auxquelles font référence les rapports du CNES, le chef du gouvernement a considéré l'allocation par l'Etat d'un budget social de 371 milliards de dinars, soit près de 5 milliards de dollars, comme «un cinglant démenti» à de telles affirmations. Le chef de l'Exécutif n'a pas manqué, lors de son allocution, de porter un avis contraire à certaines recommandations du CNES. Sur le dossier de l'émigration à titre d'exemple, Ahmed Ouyahia a estimé la demande du CNES pour une reconnaissance des diplômes d'enseignement algérien par les pays de l'UE, comme une demande charriant une menace favorisant l'accentuation de la fuite des cerveaux. Première rencontre du CNES que préside désormais Mohamed Seghir Babès et devant l'absence remarquée de son prédécesseur Mohamed Salah Mentouri, cette 26e session, de l'avis de certains membres du conseil, annonce d'ores et déjà de rudes batailles pour le contrôle de cette institution facultative. La guerre que se livrent à distance les partisans d'Ouyahia et de Bouteflika en prévision des prochaines échéances électorales sera accentuée lors du renouvellement des instances et de certaines composantes du CNES. Certains n'ont pas hésité à voir des velléités du chef de l'Etat à dépouiller le CNES des partisans d'Ouyahia et «s'offrir un CNES sur mesure», commente l'un d'eux.