Les grandes manoeuvres chinoises autour de Taïwan, au cours desquelles des navires de guerre ont encerclé l'île, ont offert un avant-goût sans précédent de ce que serait une vraie campagne militaire de Pékin contre son voisin. Pékin a également imposé des sanctions économiques et multiplié les efforts pour isoler Taipei du reste du monde, des initiatives qui vont chambouler définitivement le statu quo dans le détroit de Taïwan, avertissent les experts. Un blocus est-il possible? Pour la première fois, l'armée chinoise a mené des exercices sur le flanc est de Taïwan, une zone hautement stratégique pour l'approvisionnement de l'île, et par laquelle arriveraient d'éventuels renforts américains. Le signal est clair: Pékin peut désormais empêcher toute entrée ou sortie de l'île de navires et d'avions civils ou militaires. Depuis longtemps, les analystes prédisent une telle stratégie de la part de la Chine en cas de guerre pour conquérir Taïwan. «Cette crise montre que Pékin est capable de répéter - et d'intensifier - des actions similaires à volonté», explique Christopher Twomey, spécialiste de la sécurité à l'Ecole navale de Californie. L'armée chinoise est-elle prête? La Chine a rapidement augmenté et modernisé ses forces aériennes, spatiales et maritimes dans le but de projeter sa puissance à l'échelle mondiale et de réduire l'écart avec l'armée américaine. l'objectif est de disposer, d'ici 2027, des moyens nécessaires pour vaincre toute résistance à une invasion de Taïwan, selon le Pentagone. Selon Collin Koh, expert en affaires navales à la S. Rajaratnam School of International Studies de Singapour, ces exercices ont révélé le chemin parcouru par l'armée chinoise depuis la dernière crise du détroit de Taïwan en 1995-1996. «Le moins que l'on puisse dire, c'est que les forces qu'ils ont déployées sur le terrain, et le fait qu'ils aient pu réussir un exercice de cette envergure, prouvent qu'ils sont beaucoup plus capables qu'ils ne l'étaient dans les années 1990», explique M. Koh. Quel changement dans les relations? La Chine boycotte désormais les fruits et les poissons en provenance de Taïwan, dans le but de nuire à l'économie de l'île. Selon les analystes, cette mesure vise à éroder le soutien électoral au gouvernement pro-indépendance taïwanais. Pékin a sanctionné des entreprises qui soutenaient l'agence d'aide au développement du gouvernement taïwanais, afin de saper ce que l'on a appelé la «diplomatie du carnet de chèques» de Taïwan envers ses alliés. «Des tensions prolongées sont peu probables», affirme Bonnie Glaser, directrice du programme Asie du groupe de réflexion américain German Marshall Fund. «Mais il est certain qu'une crise majeure affecterait le transport maritime, les taux des assurances, les routes commerciales et les chaînes d'approvisionnement» mondiales. Une nouvelle norme dans le détroit? «Les exercices à proximité de l'île principale de Taïwan vont devenir la norme», prédit-il. «Le fait que l'Armée populaire de libération ait mené de telles manoeuvres a créé un précédent», ajoute cet analyste. Il dit même s'attendre «à ce que la barre soit placée encore plus haut à l'avenir, en échelle et en intensité». La Chine envoie régulièrement des navires de guerre ou des avions de l'autre côté de la ligne médiane du détroit de Taïwan, la frontière officieuse entre les deux voisins, pendant les périodes de tension. Mais la visite de Mme Pelosi a donné à Pékin «l'excuse ou la justification pour dire qu'à l'avenir, elle pourra légitimement effectuer des exercices à l'est de la ligne médiane sans avoir à en rendre compte», pronostique Koh. Washington et Pékin se sont-ils mutuellement acculés? La Chine a suspendu sa coopération avec les Etats-Unis dans des domaines-clés, dont le changement climatique et la défense. Washington a jugé cette initiative «irresponsable». Pékin a également annoncé des sanctions contre Mme Pelosi, le troisième personnage de l'Etat américain. «C'est un moment dans les relations entre les Etats-Unis et la Chine où nous sommes vraiment descendus très bas», a estimé Mme Glaser lors d'une discussion organisée par le Centre d'études stratégiques et internationales. «J'espère que nos deux gouvernements trouveront un moyen d'avancer pour parler de leurs (...) lignes rouges, de leurs préoccupations et pour empêcher que la spirale destructrice se poursuive dans la région», a-t-elle ajouté.