Il saute comme un jeune de vingt ans quand la foule le berce de ses hourras mémorables à Annaba. On le disait malade. Les plus hardis ont pensé à la relève. Sa longue maladie a donné un coup d'arrêt à son projet de relance économique et à la réconciliation nationale, et mis l'Algérie toute entière dans un état de convalescence durable. Petit à petit, Bouteflika a repris ses forces et les textes d'application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ont vu le jour. Mais l'économie battait de l'aile. On ne voyait rien venir dans le ciel des investisseurs étrangers qui se faisaient prier. Puis il y a eu le feuilleton Khalifa. Le système politique fut ébranlé par ce scandale financier qu'on a vite éclipsé pour le remplacer par un autre qui touche de plus près les citoyens. Le «scandale» des législatives a mis à nu ce même système qui refuse l'alternance; refuse de donner aux nouvelles générations, sorties des universités, leur chance. Ces nouvelles élites sont mises sous tutelle permanente. Les électeurs ont compris la politique du fait accompli. Plus de 64% des électeurs ont boudé les urnes, le 17 mai dernier. Bouteflika a vu venir le danger. La sanction des urnes devait l'atteindre tôt ou tard. Il a réagi très vite, en devançant les effets de la déroute, en allant à la rencontre des citoyens avant que la rupture ne soit définitivement consommée. Son message était simple: leur faillite n'est pas la faillite d'un système. Il décide alors de faire porter le chapeau aux ministres-candidats qui ont brillé par leur incompétence pendant la campagne électorale. Il les met en quarantaine. Bouteflika sort dès lors plus revigoré que jamais. Il foule le sol de l'Algérie profonde en renouant avec les bains de foule, reçoit les chefs d'Etat étrangers à Alger, inaugure la Foire internationale, assiste au G8; enfin, il est animé d'un pouvoir d'ubiquité désarçonnant. N'est-ce pas là le meilleur démenti aux mauvaises langues qui le disaient fini? Après une longue éclipse, Bouteflika revient sous les feux de la rampe. Peu loquace. Il s'exprime par des actes. Une réplique «silencieuse». Il veut montrer qu'il est encore là et qu'il a plus d'un tour dans son sac. Il frappe là où on l'attend le moins. Il change complètement de stratégie. Avant, il était bavard, parlait sans arrêt sur tous les thèmes. Maintenant, il semble privilégier l'action. La caméra le suit pas à pas. Il saute comme un jeune de vingt ans quand la foule le berce de ces hourras mémorables à Annaba. Il ose même se réconcilier avec la presse. Il rend visite aux journalistes victimes de l'accident de Annaba et fait des séances photo avec d'autres à Chlef. Son agenda nous fait rappeler son premier mandat. C'était notre fierté à tous de voir l'Algérie revenir en force dans l'arène internationale. Puis, ce potentiel s'est dilapidé, pour céder la place à une image ancienne de courtisans sans substance, vomis par leur peuple, qui occupaient des postes de responsabilité pendant que le discours serinait un autre refrain. Belkhadem a beaucoup parlé de la révision de la Constitution, jusqu'à en perdre la voix. Il préconise sa refonte, sans cacher son penchant pour un régime présidentiel. Mais à quoi servirait la refonte de la Constitution quand le président est malade? La déclaration de l'éditorialiste du Nouvel Observateur, Jean Daniel, qui disait l'avoir trouvé en bonne santé, n'a pas suffi. Bouteflika ne doit s'appuyer que sur ses propres ressorts. Il s'applique à réfuter la thèse de sa maladie en reprenant du poil de la bête; il démontre qu'il ne s'est jamais porté aussi bien et qu'on peut, désormais, aller à la révision de la Constitution en prévision du rendez-vous de 2009. Mais à quoi servirait un troisième mandat quand les institutions sont complètement déglinguées? Une APN mal élue, un Sénat renouvelé dans des conditions ludiques où les grands électeurs donnent des voix aux partis disposant d'une minorité, au nez et à la barbe de Belkhadem qui a pourtant juré de sanctionner ceux qui ont fauté, et des ministres-candidats qui ne remplissent pas les salles. Bouteflika n'est pas satisfait des résultats. Il est vrai qu'il ne veut pas d'institutions dotées de prérogatives, mais aller jusqu'à lui offrir un Parlement sans ancrage populaire, la pilule est trop grosse. Il faut bien que quelqu'un paie pour cette énormité. Les ministres en sont les premières victimes. Ils paient pour leur cécité politique, d'abord, et, ensuite, pour la faillite d'un système dont ils font partie, dont ils constituent l'ossature.