«...Puis j'ai gagné Djemila. La route qui y conduit demeure l'un des plus beaux chemins d'Algérie, car c'est un chemin vers l'abandon de l'affairement des villes, et vers la rencontre de ce qui ne peut être vu que là.» Dixit Jacques Huré. Et de trois. Le Festival international de Djemila se poursuit. Les chanteurs se succèdent sur la scène dressée au bas de l'Arc de Caracalla, au coeur du site archéologique de l'antique Cuicul. La capitale des Hauts-Plateaux, Sétif, vit danss un décor multicolore et sur différents airs mélodieux. Les organisateurs ont programmé, tout au long des dix journées de festivité, un répertoire musical varié. Des figures emblématiques de la chanson algérienne et arabe ont marqué et marqueront leur présence sur le site antique romain. Parmi les chanteurs nationaux figurent: le rappeur Lotfi Double Canon, cheb Khalas, Mohamed Lamine, chaba Yamina et autres. Les internationaux, la star marocaine Abdellhadi Belkhiat, le Tunisien Saber Rebai, le Lybien cheb Djilali, Carolle Sameha et Ihab Tawfik sont en vedette. Au-delà de son volet musical, le festival sera également une occasion pour revisiter l'histoire sur un air touristique. Des écrivains, des historiens et des poètes se sont tous inspirés de ce bijou ancestral. Albert Camus écrivait à ce propos. «Dans une grande confusion du vent et du soleil qui mêle aux ruines de la lumière, quelque chose se forge qui donne à l'homme la mesure de son identité avec la solitude et le silence de la ville morte.» Djemila, la belle. Il ne s'agit pas d'une femme. Non, c'est plus qu'un nom de femme. Une longue histoire Un point commun lie la ville à son nom: la beauté. Djemila n'est pas seulement belle par son nom, mais aussi par son histoire, ses ruines romaines. Elle est située à 52km du chef-lieu de Sétif, Djemila est une cité antique romaine, comme le témoigne son ancien nom, Cuicul. Classée patrimoine universel par l'Unesco, Djemila fait partie du patrimoine national. Grâce à son calme, à la richesse de son histoire et à sa beauté, elle fait oublier, aux visiteurs, la longue et fatigante route sinueuse qui mène à son sommet. «Il faut beaucoup de temps pour aller à Djemila. Ce n'est pas une ville où l'on s'arrête et que l'on dépasse. C'est un lieu d'où l'on revient. La ville morte est au terme d'une longue route en lacets qui semble la promettre à chacun de ses tournants et paraît d'autant plus longue...», écrivait Camus.(1) Elle demeure parmi les plus beaux sites historiques et touristiques d'Algérie. L'écrivain français Jacques Huré, écrivait dans Africa 1970: «...Puis j'ai gagné Djemila. La route qui y conduit demeure l'un des plus beaux chemins d'Algérie, car c'est un chemin vers l'abandon de l'affairement des villes, et vers la rencontre de ce qui ne peut être vu que là.» Pour l'histoire, la cité de Cuicul a été bâtie sur un sol accidenté au IIe siècle après J-C., sous le règne de l'empereur Nerva (96-98). Selon quelques écris historiques, c'est en ces temps-là que furent créées les premières villes de Sitifis (Sétif), Cuicul (Djemila) et peut-être d'autres petites agglomérations. «Djemila fut surtout une colonie de vétérans, colonie appelée Nervienne (ce qui prouve bien sa fondation par l'empereur Nerva) mais vers le milieu du IIe siècle, apparurent des personnes venues de Cirta (Constantine) et de Carthage.» Dans son ouvrage intitulé, Djemila Fleuron du patrimoine national et universel, le conservateur du site de Djemila, M.Mohamned Akli Ikharbane, a souligné que «le règne des Antonins (96-192) et celui des Sévères (192-235) furent, pour Djemila, les plus heureux de l'Antiquité. C'est durant ces règnes que Cuicul s'enrichit et se développa, ainsi que l'attestent les édifices évoqués». Selon lui, toujours, ce site est mis en valeur grâce à deux monuments. D'abord, c'est là-bas que se trouve le fameux Arc de Caracalla qui a été construit en 216 par le roi Septime Sévère en référence au nom de son fils, le prince, Marcus Aureluis Bassianus surnommé Caracalla. Cet Arc a failli être transporté vers Paris en 1840 par le duc d'Orléans, commandant du corps expéditionnaire français. Le temple de la Gens Septimia, édifié en 229 sous les ordres d'Alexandre Sévère, divinisant l'empereur Septime Sévère et sa femme Julia Domna est le deuxième monument qui attire l'attention une fois dans ce site. D'autres monuments et édifices tels que la fontaine monumentale, le marché aux étoffes, le petit temple remanié et une autre basilique judiciaire du IVe siècle, édifiée sur les décombres du temple de Saturne, donnent au site une autre dimension culturelle, patrimoniale et architecturale. Un bijou d'architecture A l'instar des autres régions, Djemila a échappé à plusieurs tentatives d'invasions. Cuicul, qui était jusqu'à la décadence de l'empire d'Occident, en 476, sous l'autorité de Rome, a été l'élan dévastateur des Vandales, à compter de 429, et à l'empire byzantin installé depuis 533. Elle échappa donc aux Vandales, aux Byzantins et aux royaumes berbères qui contrôlaient le reste de l'Afrique du Nord. Selon M.Ikharbane, la colonie de Cuicul, sentinelle romaine au coeur d'un massif montagneux, entre Sétif et Constantine, est construite autour d'un forum entouré d'édifices publics tels que la Curie municipale (assemblée des décurions), le capitole (temple réservé à la triade Capitoline: Jupiter, Junon et Minerve), la Basilique judiciaire pour la justice et les transactions boursières et le marché des frères Cosinius avec ses dix-huit boutiques. Côté architecture, le site romain antique est un bijou architectural tout simplement. Il repose sur un théâtre fameux pouvant contenir jusqu'à 3000 places. Il a été construit vers 160. Vingt-cinq ans après, sous le règne de Commode, un très bel établissement de thermes d'environ 2600m² était édifié à environ 200m de la porte sud, sur le prolongement du grand Cardo, tout comme une belle et complexe demeure comportant une grande salle à absides dite «Maison de Bacchus» du nom de la plus ancienne mosaïque retrouvée à Djemila, représentant la légende de Dionysos, dieu du vin, de la vigne et du délire mystique. Avec tout ce décor, le site romain repose sur «son éperon rocheux, avec une distribution de volumes architecturaux où le coeur a eu raison de la rudesse et de la monotonie du style romain (quadrillage en échiquier) caractérisant les autres villes, avec ´´sa mer´´ sur ses mosaïques, ses dieux sur les stèles, l'odeur de l'encens sur les autels. Ici, le mot déchéance n'a pas droit de cité, sauf peut-être pour ceux qui n'ont rien compris aux miracles des civilisations», a écrit M.Ikharbane. Depuis quelque temps, comme en témoignent les responsables locaux, les autorités locales ainsi que le département de Mme Khalida Toumi accordent plus d'importance à ce site historique et touristique. A en croire les habitants de la ville, le vestige romain a été abandonné des années durant. «Il n'y a pas longtemps, personne n'entendait parlait du site. Il y a même des Algériens qui ignoraient l'existence d'un site pareil en Algérie. Même les autorités ne lui accordaient pas d'importance. Il a été complètement abandonné au point où...», a témoigné un vieux de la région. Aujourd'hui, les responsables de la culture nationale veulent donner à ce site la dimension qu'il mérite. Ces trois dernières années, le ministère de la Culture a organisé le Festival international de Djemila. Par cette occasion, plusieurs figures internationales de la chanson arabe sont montées sur la scène du site romain. Avec la forte présence de la presse nationale, le site de Djemila a pris, à travers ce festival, une dimension internationale. L'année dernière, des vedettes de la chanson algérienne et arabe s'y sont produites, à l'image du king Khaled et du chanteur-philosophe kabyle, Lounis Aït Menguellet, pour ne citer que ceux-là. En ce qui concerne les artistes arabes, on trouve les vedettes libanaises, Diana Heddad, Assi El Helani et Marcel Khalifa, le Tunisien Loutfi Bouchenak, etc. Il est temps pour les Algériens de découvrir les richesses patrimoniales de leur pays. Les autorités concernées sont appelées à y mettre tous les moyens pour encourager les visites, en assurant les services d'hébergement, de restauration et de transport. Car, à l'exception des archéologues ou de quelques amateurs avertis, peu de gens viennnent à Djemila. Actuellement, rares sont les voyageurs qui s'aventureraient dans ses parages de pierres et de vent. Ce qui n'encourage guère le tourisme. Pour conclure, on citera une phrase d'Albert Camus: «Djemila figure alors le symbole de cette leçon d'amour et de patience qui peut seule nous conduire au coeur battant du monde.» (1) Noces «Le vent à Djemila»