La peur se lit sur tous les visages rendus blèmes par la hideuse nouvelle qui s'est répandue comme une traînée de poudre. La petite localité de Dellys, située à 100 km à l'est d'Alger, a été, hier, le théâtre d'un violent attentat kamikaze perpétré contre une caserne des gardes-côtes. Pas moins de 28 marins ont été tués et une soixantaine blessés. Si, en pénétrant dans la petite ville la mer nous accueille avec ses douces brises, cela n'est pas le cas des habitants. Dans leurs yeux, les gens ne portent que des points d'interrogation. Dans cette petite ville où tout le monde se connaît, les étrangers sont vite repérés. On dévisage longuement aussi bien les passants que les automobilistes. La peur se lit sur tous les visages rendus blèmes par la hideuse nouvelle qui s'est répandue comme une traînée de poudre. Que ce soit dans les cafés, dans les rues ou sur les places publiques on ne parle pas de l'attentat. On ne se parle pas du tout. Ayant demandé aux quelques passants pressés, de nous indiquer les lieux de l'attentat, on n'a eu droit qu'à de vagues réponses. «Je ne sais pas», nous répond-on en haussant les épaules et en levant les mains. Ce faisant, le regard de notre interlocuteur ne manque pas de se glisser à l'intérieur de la voiture que nous occupons pour dévisager, longuement, les passagers. Le regard, perçant, semblait dire: «Retournez d'où vous venez, vous n'avez rien à faire ici.» Les gens de Dellys savent bien de quoi ça retourne. Ils n'oublient pas la tragédie nationale qu'ils avaient vécue jusque dans leur chair. Vite, les mêmes réflexes, les mêmes regards, les mêmes interrogations reviennent en ce samedi 8 septembre. Pourtant, cette fois-ci l'attentat n'a pas visé les civils. «Nous avons tout de même peur, et puis les militaires victimes de cet attentat sont aussi des enfants du peuple. Ils sont innocents», lâche un vieux que nous avons accosté et qui a continué son chemin préférant le silence que de poursuivre son discours, car ici, à Dellys, les gens sont encore en état d'alerte. Le mutisme d'antan revient de plus belle. Les visages crispés n'expriment qu'une indignation longtemps retenue. Il était environ 11h 30 lorsque nous arrivons au niveau de l'hôpital de Dellys. L'accès s'avère difficile, voire impossible. Des 4x4 de la Brigade mobile de la police judiciaire (Bmpj) sont stationnés de part et d'autre de l'entrée. A quelques mètres de là, une ambulance, le moteur allumé, est sur le qui-vive. Un officier de la Protection civile, visiblement éreinté, se tient debout devant le véhicule. Nous étant arrêtés devant lui, il semble se réveiller d'une longue léthargie. Ayant décliné notre identité, et entendant le mot «journaliste», l'officier de la Protection civile, au visage pâle et le front portant des rides apparentes, nous répond sans détour: «Ne vous hasardez pas de ce côté-là. Vous n'aurez rien. Et moi je ne peux rien vous dire. Je fais seulement mon travail...». Notre interlocuteur a fini tout de même par nous indiquer le chemin pour atteindre les lieux du crime: «C'est un peu en bas...au port...». Destination le port. On continue notre bonhomme de chemin. Au dernier virage, avant d'accéder au lieu de l'attentat, on se retrouve face à un barrage de la Bmpj. L'officier nous somme de rebrousser chemin. Il se montre intraitable, même lorsque nous lui avons décliné notre profession de journaliste. «Mais ce sont des militaires qui sont morts! On ne vous laisse pas accéder à la caserne. Ce sont les instructions. Rebroussez chemin, comme l'ont fait vos collègues», nous ordonna l'officier de la Bmpj. De loin, la caserne des gardes-côtes est encerclée par des éléments de la police. Des ambulances sont stationnées ça et là. Ici, tout étranger à la ville est suspecté. A l'aller comme au retour, les mêmes figures incertaines nous font face. On quitte la ville aux environs de 13h. Pas loin de Dellys, Baghlia nous accueille avec un peu moins d'hostilité. Dans les cafés, les gens sont rivés sur la chaîne El Jazeera qui diffuse des images des lieux du crime. Les quelques clients, attablés, regardent avec consternation. «On croyait que la période du terrorisme fait partie de l'histoire sinistre de notre pays, mais...» lâche le cafetier en continuant à essuyer le comptoir ne faisant pas attention à un client qui demande un verre d'eau.