Il y a quelque chose de détraqué dans un pays qui n'offre pas un idéal à ses enfants, au point de les laisser périr dans des attentats-suicides ou sur des barques de fortune, au large des Açores. Quinze ans à peine et le désir d'en découdre. La mort dans l'âme, il va au pas de course vers le paradis et semant l'enfer et l'odeur du deuil. Peut-on juger un adolescent de quinze ans, surtout à titre posthume? Qui est responsable de cet état de fait, les parents, l'école, le système politique? La société dans son ensemble? Pourquoi est-ce que plus de trente personnes ont péri à Dellys, elles qui n'ont absolument rien fait pour mériter un tel sort? Ce problème des bombes humaines, qui sont devenues le mode opératoire du Gspc depuis que ce groupe a fait allégeance à Al Qaîda, nous renvoie comme dans un miroir l'image d'un pays qui a failli dans la construction d'une société équilibrée, démocratique, créatrice d'emploi, où la recherche scientifique tient une place prépondérante, où le citoyen est conscient de faire partie d'un ensemble qui s'appelle la patrie. Il nous renvoie aussi l'image de ces centaines de jeunes qui prennent la mer, au péril de leur vie, parce que ce pays ne leur garantit pas un avenir décent. La très forte abstention aux élections du 17 mai était déjà un signe qui ne trompe pas, une sonnette d'alarme retentissante sur les horizons bouchés de ce pays, dans lequel les partis politiques ne jouent pas le rôle qui doit être le leur, ne faisant pas des propositions de sorties de crise. Ces partis sont là pour partager la rente, chacun visant sa part du gâteau. La société civile qui, dans le monde entier, joue un rôle pour sensibiliser et réveiller les consciences, tout en défendant les intérêts des populations déshéritées, est chez nous laminée, bridée, tenue en laisse, sinon divisée et passée sous le rouleau compresseur. Le Parlement lui-même ne joue pas son rôle de contrôle. Les députés, qui font assaut de démagogie durant la campagne électorale, s'isolent dans leur tour d'ivoire juste au lendemain du scrutin, plus préoccupés à gérer leur carrière et leurs intérêts propres que celle des affaires de la cité. Et les citoyens se retrouvent désemparés, livrés poings et pieds liés aux groupes d'intérêt. Si on compare l'Algérie de 2007 à celle de 1999, on voit bien que beaucoup de choses ont changé: les caisses du Trésor public sont pleines, un plan de consolidation de la croissance a permis de rouvrir des chantiers très importants, surtout ceux des infrastructures de base, mais à côté de cela, on voit bien qu'il y a une accumulation de problèmes incroyables: chômage, inflation, déficit en communication entre le pouvoir et les citoyens à tel point qu'il est permis aujourd'hui de parler de fracture sociale, un fossé qui ne cesse de se creuser, au point de devenir béant, et de laisser s'engouffrer tous les problèmes d'une société qui n'en peut mais. Une chose est sûre: l'Exécutif a perdu pied. Il ne contrôle plus la situation. Quant au système éducatif (formation, école, université), il est coupé des réalités sociales du pays et ne forme pas aux métiers dont a besoin le pays. La chose est claire et n'a pas besoin d'être commentée outre mesure. Dans la détresse qui touche des milliers de jeunes Algériens, on voit bien que ce sont les problèmes sociaux qui sont la principale cause d'une situation explosive. S'embarquer sur un rafiot de fortune au péril de sa vie, faire la queue devant les consulats étrangers pour demander un visa, ou se faire sauter dans un attentat-suicide, il y a un lien entre tous ces faits, et les batailles idéologiques entre tous ceux qui se cachent derrière la réconciliation ou l'éradication sonnent comme un discours creux, sans prise sur le réel. En fait, ces batailles idéologiques ont quelque chose d'illusoire, qui ne parviennent pas à occulter la réalité des choses. Après ces deux attentats-suicides qui ont visé Batna et Dellys, faisant plus de soixante morts et des dizaines de blessés, tout le monde a compris que la situation est explosive en Algérie. Main étrangère ou non, le pouvoir est à côté de la plaque.