«Le tabou dans la culture arabe» est un thème sacrément pointu qui a été débattu mardi dernier au Salon international du livre... Le premier à être intervenu sur ce thème est le directeur de la Bibliothèque nationale d'El Hamma et néanmoins écrivain ayant reconnu avoir beaucoup écrit sur ce sujet, notamment dans son livre La Culture du sang: Fatwas, femmes, tabous et pouvoirs, édité chez Serpent à plumes. M.Amine Zaoui, dira que les tabous changent selon les époques, les courants politiques des sociétés. «Dans chaque culture, le tabou se sacralise autour du pouvoir, des appareils idéologiques d'Etat, ensuite dans la religion et le sexe dans ses différents acceptions.» Selon lui, le tabou dans la civilisation arabo-musulmane a toujours existé. «L'Islam est multiple. Ce qui peut être interdit au Soudan, peut ne peut pas l'être au Yémen, ce qui peut être interdit en Algérie peut ne pas l'être au Maroc etc. La religion peut revêtir plusieurs interprétations.» M.Amine Zaoui fera remarquer que les XIe et XIIe siècles étaient réputés pour leur ouverture et leur tolérance et évoquera aussi le processus de paix de Barcelone entre les Palestiniens et Israéliens. Il prendra aussi comme exemple Abou Nouas qui fut un des révolutionnaires de la langue arabe. «Je pense qu'une civilisation qui produit un livre tel que Les Mille et Une Nuits ne peut être qu'audacieuse et ouverte sur le monde. Car aujourd'hui cette oeuvre a influencé beaucoup de monde, notamment la littérature latino-américaine. Hollywood même s'en est inspiré dans ses fictions...» Et de citer Omar El Khayam et ses fameux Quatrains. «On se demande comment ce siècle peut-il être comparé avec celui de Khomeini. Comment sommes-nous arrivés là? A cause de problèmes politiques et non pas religieux.» Amine Zaoui indiquera aussi les écrits de Taha Hocine qui fut édité d'abord dans un journal en abordant la scolarité des filles. Devenant plus virulent, l'auteur de La Razzia fera clairement signifier la place des institutions religieuses qui devraient se limiter à s'occuper, selon lui, des affaires religieuses et spirituelles et non s'ingérer dans l'édition livresque et par ricochet dans l'esthétique de la création. Il citera à ce propos quelques exemples, notamment l'interdiction en 1979 par la mosquée El Azhar de la sortie en langue arabe des Mille et Une Nuits et sa censure par le Parlement égyptien. Sujet tabou et pourtant, M.Amine Zaoui soulignera les centaines de mots qui correspondent au mot amour et que Malek Chebel a recensé dans l'un de ses ouvrages. Amine Zaoui relève la beauté de certains textes qui se sont évertués à parler du sexe, de la façon la plus belle qui soit, notamment par El Djahed, Adonis et Darwish...Il regrettera l'absence de ces textes qui se lisent souvent en seconde main, via les éditions étrangères. Et d'achever sa communication en notant un nouveau tabou qui semble régner aujourd'hui dans le monde: «Il paraît aujourd'hui invraisemblable et formellement interdit de critiquer les juifs et Israël dans le monde, sinon vous êtes perçu comme un nazi...», s'est indigné Amine Zaoui, en évoquant en outre les noms de Roger Garaudy, de Dieudonné et l'abbé Pierre. Idée partagée par l'universitaire Mohamed-Lakhdar Maougal qui complétera cette conférence en apportant des faits nouveaux sur le tabou en commençant d'abord par le distinguer du mot «interdit» qui se veut «être ce qui existe dans les interstices de l'espace». Et d'ajouter: «Le tabou est plus fort, plus contraignant car il relève d'un droit non humain, opposé à l'interdit. Le tabou se régénère. Il faut faire la distinction entre l'ancien et le nouveau...» M.Maougal indiquera les cas où, à cause d'un interdit, des mains furent coupées! Il citera à titre d'exemple Ibn Al Moukafaâ, le père de Kalila Oua Dimna qui a été châtié de la pire façon qui existe en le jetant dans une marmite bouillante après avoir été démembré. La cause? Il avait osé définir dans ses écrits les droits du pouvoir. «On s'étonne qu'il soit oublié jusqu'à ce qu'on le retrouve dans les écrits de Machiavel sur la bonne gouvernance.» M.Maougal dira que c'est le tabou politique qui prévaut dans notre société «alors qu'on a déjà payé un lourd tribut à la liberté, l'émancipation et à l'indépendance...» Une question de mentalité aussi, et qui n'est pas près de changer. Peut être le siècle prochain?