On dit que dans la sebeïba, tout danse, tout tourne, le coeur, la tête, les bras. «Talit-en-sebeïba! talit-en-sebeïba!», le guetteur qui scrutait le ciel vient d'apercevoir le croissant de lune. Il le crie à tue-tête. Il annonce le mois de sebeïba qui correspond au mois de Moharrem de l'année musulmane. C'était il y a longtemps. Aujourd'hui, il y a la télé et la radio. L'événement est cependant bien ancré chez les Kel Djanet. Ils ont réussi à le préserver. Sa célébration remonte à la nuit des temps. Ils s'apprêtent à le fêter. Il symbolise l'entrée de plain-pied dans la nouvelle année. Sebeïba aura lieu le 10e jour du mois de Moharrem. Le jour de l'Achoura. Moussa ne ratera pour rien au monde cet événement. C'est un des danseurs émérites de la sebeïba. Il défendra les couleurs de son ksar, celui d'El Mihane. Il sera opposé à son rival de toujours, le ksar d'Azzelouag. Ce sont les deux plus anciens ksour de l'oasis de Djanet. A en croire la légende transmise par la tradition orale, les origines de la sebeïba remonteraient à la mort du Pharaon. Alors qu'il poursuivait injustement Sidna Moussa, il s'est noyé dans la mer Rouge. C'est à partir de ce moment-là, selon les «gardiens de la mémoire» que l'on fête sebeïba en signe de réjouissance. Des poésies chantées au rythme des gangas par les femmes, exclusivement. Ce sont les hommes qui dansent sebeïba. Elle n'a pas son pareil ailleurs. Elle est si particulière à la population oasienne de Djanet. «C'est un événement que l'on attend pratiquement toute l'année», nous a confié Moussa, un artiste en la matière. Il danse sebeïba depuis l'adolescence. C'est un moment qui le tient en haleine. Les préparatifs ont lieu pendant la première semaine précédant Tilallinn. Cela désigne le jour de l'Achoura, mais aussi le lieu de la danse. Pendant ce jour-là, la vie à Djanet est suspendue à cette cérémonie. Une chorégraphie réglée comme du papier à musique. L'espace est investi de façon particulière. Le temps est structuré. Les protagonistes s'apprêtent à s'affronter. Les habitants d'El Mihane et ceux d'Azzelouaz. Rendez-vous est pris dans l'oued Idjiriou, à l'intérieur de la palmeraie, à égale distance des deux ksour. La monotonie de tous les jours sera rompue. C'est garanti. Moussa attend ce moment depuis trop longtemps. Une éternité qui semble venir tout droit de ces temps reculés. Cela ajoute encore plus de mystère à la légende. La fête n'en sera que plus belle. Moussa va sortir sa takoumbout, soigneusement rangée dans une malle en bois. Elle contient aussi tous les autres accessoires de la chorégraphie qui caractérise cette manifestation. Echarpes en laine, serouel, takouba (épée)...Takoumbout est cette coiffe en laine de couleur pourpre ornée de quatre rangées de bijoux en argent. Trois de forme triangulaire et une de forme carrée. Téréout. Outre la valeur esthétique de leurs tracés géométriques, ils véhiculent un mode de communication dont le triangle est un élément de base. Un symbole incontournable de la société targuie. Il protège l'homme contre l'esprit du mal. Contre le mauvais oeil. Le scénario est d'une précision à ne plus démontrer. Les maîtresses de ballet ne tarderont pas à battre le rappel. Elles chauffent leurs gangas (tambours). Les danseurs pénètrent dans l'arène, suivis par leurs musiciennes, alors que non loin suivent celles de la chorale. Les Chet-Aggaï. Les deux ksour se font face. Les femmes rivalisent. Elles apparaissent dans leurs plus beaux apparats. Vêtues de voiles légers, superbement parées, elles s'affrontent à travers des joutes oratoires empreintes de poésie. L'exhibition des tikemssin, larges voiles dont les bras tendus des danseurs à l'horizontale font penser à des chauves-souris. C'est le moment que choisit un jury composé d'étrangers aux deux ksour pour désigner le vainqueur de cette joute guerrière qui nous parvient de temps immémoriaux.