Une fraude fiscale effarante et des lignes de crédits dont les attributaires sont totalement inconnus. Aux premières heures de son investiture à la tête de l'Etat, Bouteflika s'était juré de mettre fin au diktat de la mafia de l'import-import. Un pavé dans la mare et un pari lourd à tenir. D'autant plus que la même mafia avait, dès les premières années de l'indépendance, commencé à étendre ses tentacules dans toutes les institutions de l'Etat. L'on se souvient bien du fameux discours de feu Boumediene lorsqu'il avait évoqué la présence de ces barons parmi les décideurs du pays et qu'il s'en chargerait au moment propice. Décédé quelques mois après, Boumediene n'a pas eu le temps de s'en charger, laissant derrière lui un grand mystère sur la nature du système établi par les rentiers de la République. Il a fallu attendre onze ans pour que l'on évoque la nécessité de combattre la corruption. Mohamed Boudiaf, à l'origine du brûlot antimafia a, en fait, payé de sa vie. Un avertissement ou une mise en garde. En tout état de cause, le citoyen a au moins compris que la guerre contre la rente ne peut réussir qu'avec l'adhésion de toute la nation. Encore huit autres années d'attente après Boudiaf. Bouteflika, qui a déclaré ne pas avoir le bâton de Moïse, ni la bague de Salomon, avait mis, encore une fois, le doigt sur la plaie en définissant, pour la première fois depuis l'Indépendance, les sphères où prospèrent la corruption et la rente. Convaincu que la corruption se marie bien avec le climat de violence, la concorde civile, plébiscitée par 86% des Algériens, a été une autre occasion pour montrer où se situent les enjeux. Avec le retour de la paix dans le pays et le redéploiement de l'Algérie sur la scène internationale, l'Algérie s'est réveillée, après dix ans de terrorisme, sur des chiffres effarants: une fraude fiscale de plus de 500 milliards de dinars (6,25 milliards de dollars), des dizaines de milliards de dollars dans des investissements virtuels, 6.000 lignes de crédits bancaires dont les attributaires sont totalement inconnus et un monopole de fait exercé par quelques barons sur les importations de produits stratégiques. Cela, en plus du bradage des entreprises publiques. La première démarche a consisté à réformer les systèmes judiciaire et bancaire sur lesquels s'appuient tous les dérapages économiques et politiques. Tous les discours du Président convergeaient vers le fait que, pendant la décennie durant laquelle le citoyen a payé de son sang, les bénéficiaires de la rente et des activités commerciales renflouaient leurs caisses. L'Homme devient alors une menace pour certains gardiens de l'ordre établi. Ce qui apparaissait comme une ligne rouge tracée par les tenants du système corrompu a été, enfin, franchie par Bouteflika. Le limogeage de la moitié des walis, des chefs de daïra, et de magistrats constitue pour beaucoup d'Algériens une garantie de taille. Cela étant, il est impossible pour qui que ce soit de mettre fin à un système aussi puissant et aussi tentaculaire, en deux ou trois années. C'est contre vents et marrées que le chef de l'Etat a lancé le Plan d'appui à la relance économique (Pare). Avec l'annonce du Pare, ont apparu les émeutes. Au lieu d'assister à une Algérie en chantier, l'on a été témoin d'un pays livré à l'émeute. Une étrange coïncidence en fait. Le Président lui-même ainsi que ses deux ministres d'Etat avaient, à leur tour, exprimé leur étonnement de la coïncidence. «Il n'y a pas meilleure couverture pour les ambitions politiques et économiques que les conflits sociaux», disait un putschiste russe repenti. Est-on en train de retarder l'échéance. Tout porte à croire que c'est le cas. Lorsque la mafia américaine voulait infiltrer les grands studios hollywoodiens, elle avait commencé par exploiter ou créer des conflit sociaux. Elle a pris part à la guerre contre les communistes menée par les autorités américaines. Depuis le début de la «saison de l'émeute», beaucoup de chantiers ont été perturbés. Curieusement, ces chantiers ont tout un lien avec le secteur des finances. A savoir la réforme fiscale et bancaire ainsi que celle des douanes à travers lesquelles transite une bonne partie de la rente. C'est d'ailleurs le principal secteur où planent les plus douteux des conflits syndicaux et les plus curieuses des pannes de scanners. C'est ce qu'on appelle tout simplement mettre des bâtons dans les roues.