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Crédoc : trier le vrai du faux
Pour assurer la traçabilité des importations
Publié dans Liberté le 05 - 10 - 2009

Loin de représenter une révolution, le crédit documentaire est mis en œuvre, de manière systématique, pour venir au secours d'une facture des importations de plus en plus salée, même s'il est décrié par les uns, beaucoup de monde l'encense.
Avec la loi de finances complémentaire, le gouvernement a institué l'obligation de recours au crédit documentaire pour les importateurs. La pratique du crédit documentaire existe depuis longtemps, mais elle semble heurter certains intérêts depuis qu'elle a été instaurée par les pouvoirs publics en tant que phase essentielle et obligatoire dans la pratique de l'import. But déclaré par les pouvoirs publics : réduire la facture des importations qui a atteint les cimes en 2008, avec un record de près de 40 milliards de dollars américains (mds), après avoir régulièrement suivi une progression géométrique à raison de 2 durant quelques années, passant de 4,5 mds en 2005 à 10 en 2006, puis de 20 et enfin 40 mds ! Il semblerait que les diverses actions mises en œuvre par le gouvernement durant cet été convergent toutes vers le même objectif, aussi bien l'instauration du crédoc, que l'interdiction de déchargement de véhicules neufs et des marchandises non conteneurisées au niveau du port d'Alger (principal port du point de vue tonnage, à l'import comme à l'export, en dehors des ports spécialisés dans les hydrocarbures). Les premiers effets de ces actions combinées à la dévaluation du dinar commencent à se faire sentir au niveau des biens de consommation courante : rond à béton, ciment, bois de construction, produits destinés aux BTPH (dont les prix, après une brève tendance à la baisse, se sont remis à grimper), produits alimentaires. Le ministère des Finances croit pouvoir réaliser la traçabilité des produits importés, grâce au crédoc instauré par la LFC en son article 69. La mesure brutale au départ a, malgré tout, été aménagée quelque peu à la suite des critiques virulentes des opérateurs économiques qui s'estimaient lésés. Les banques ont reçu instruction d'alléger les procédures relatives au crédit documentaire, ainsi que les contraintes de trésorerie et les coûts d'engagement et de mobilisation des crédits documentaires pour tout ce qui concerne les semi-produits ou les intrants destinés à l'industrie de transformation. Selon M. Benkhalfa, délégué général de l'Abef, “il sera même question de rééchelonner la couverture du crédit sur une période pouvant aller jusqu'à un an”, par la banque domiciliataire, afin d'atténuer les contraintes de trésorerie de ses clients. Il serait aussi question de transformer le crédoc en crédit-relais pour un client incapable d'honorer ses engagements à échéance. Il faut rappeler que le recours obligatoire au crédoc a été instauré pour toute facture destinée à payer des biens ou services dépassant une valeur de 100 000 Da à l'import. Or, les entreprises du BTPH se plaignent toutes du manque de liquidités et des surcoûts engendrés par le marché des matériaux de construction et du recours au crédoc. Ne disposant que d'une maigre trésorerie dont ils imputent l'état peu reluisant au paiement à terme de leurs créances par les institutions officielles, elles ont de réelles raisons de se plaindre.
Faux registres du commerce, fausses domiciliations bancaires, corruption : l'envers de l'import-import
Selon M. Nacer Bouyahiaoui, expert financier, “entre 2005 et 2006, les pouvoirs publics ont décelé plusieurs milliers de dossiers de fraude à l'importation, sans domiciliation, notamment avec des registres du commerce où figuraient des prête-noms, souvent à leur insu (…) Au niveau du ministère des Finances, il n'a pas été possible de résoudre ce problème qui engendre une absence totale de traçabilité des produits importés, avec ce que cela suppose comme danger pour les consommateurs et même pour la sécurité nationale”.
“Lorsqu'on ajoute à cette situation peu reluisante la pratique des pots-de-vin et le trafic d'influence, le tableau devient complet”, insiste N. Bouyahiaoui. “Des registres du commerce ont été utilisés parfois à l'insu de leurs titulaires, abusés, vieux ou même morts ! Il y a eu sans doute des complicités au niveau des agences bancaires ou des banques mères, il y a eu trafic dans les domiciliations bancaires : ce sont-là quelques raisons importantes qui ont contraint les pouvoirs publics à mettre en place le crédoc. Mieux vaut tard que jamais !”
En quoi la mise en place du crédoc peut-elle gêner gravement les importateurs ?
Le crédoc est un ancien outil de commerce, appelé en son temps lettre de crédit, mis pour la première fois en pratique par les fameux banquiers lombards. Elle représente une garantie pour l'exportateur-fournisseur en assurant le paiement de la marchandise (ou service) vendue. Le crédoc est un outil destiné à sécuriser les opérations de commerce international. C'est une opération par laquelle une banque émettrice s'engage pour le compte d'un client importateur (ordonnateur) à régler, au bout d'un délai déterminé (1, 2, 3… 6 mois, voire plus), un exportateur au titre de marchandises (ou services) fournies. Le paiement du montant de la facture se fera par le biais d'une banque intermédiaire appelée banque notificatrice ou confirmatrice, contre la remise de documents strictement conformes, justifiant la valeur et l'expédition (jour et date) de la marchandise. C'est sur cette base que la banque paye. Le crédoc apporte la sécurité à l'expéditeur.
Mais c'est quoi le crédoc ?
Le crédoc n'est qu'un engagement à payer : le banquier paye la marchandise dès réception du document, mais ne prend pas en considération la qualité ou la conformité de la marchandise. Grosse contrainte, décriée par les opérateurs nationaux, l'obligation de disposer des liquidités nécessaires au payement des marchandises importées, au niveau du compte bancaire de la banque domiciliataire.
Rappelons qu'il existe 3 types de crédit : révocable, irrévocable-non confirmé (par la banque intermédiaire) et enfin irrévocable et confirmé. Par ailleurs, il existe encore une dizaine de crédoc (crédoc à vue, stand-by, etc.). Une autre pratique, celle de la remise documentaire où le fournisseur accorde un délai au client pour le transfert de l'argent (1, 2, 3 mois, etc.). Jusqu'ici, nombre d'importateurs avaient recours à la pratique de la remise documentaire dont le traitement est rapide et peu coûteux. Au contraire du crédoc dont le coût est élevé, car il faut payer le traitement du dossier, les divers forfaits, ainsi que des frais bancaires plus importants : des frais à payer à la banque domiciliataire algérienne et des frais à payer à la banque confirmatrice-notificatrice étrangère.
Ce qui explique en partie l'accroissement des prix, même si presque tous les surcoûts seront payés par le consommateur final, en bout de chaîne. Il faut savoir que chaque domiciliation bancaire est sujette à une taxe de 3% sur le montant global de la facture des services importés (transports, services, banques d'affaires, etc.).
Selon le Dr Bouyahiaoui, “les pouvoirs publics visent à porter un coup d'arrêt à l'importation des services. Mais est-ce la bonne méthode ? puisque les pouvoirs publics font appel aux entreprises étrangères pour les services en l'absence de savoir-faire local, ou de compétences et entreprises de haut niveau, même dans les travaux publics !”
Si le crédoc semble susciter quelques réserves, parfois légitimes sans doute, il pourrait par ailleurs ralentir certaines importations non essentielles et limiter le nombre de fraudeurs, avec leur corollaire les transferts illégaux de capitaux et le blanchiment d'argent sale.
C'est ce que vise l'obligation faite aux propriétaires ou au gérant d'une entreprise importatrice, dûment mandaté, de se présenter en personne au dédouanement des marchandises importées. Il en est ainsi des nouvelles règles exigeant des entreprises étrangères, versées dans l'import-export qui souhaitent s'installer en Algérie, de faire participer à leur capital, à concurrence de 30% au moins, une personnalité physique ou morale algérienne.
Le sociétés d'investissement doivent désormais être à capitaux majoritairement algériens : soit 51% au moins pour les Algériens et 49% au plus pour les étrangers. Si l'on ajoute à cela que le transfert de capitaux est déjà taxé à hauteur de 15%, il paraît évident que les pouvoirs publics se sont montrés cohérents dans leurs décisions concernant le commerce extérieur. Il n'en demeure pas moins que les pouvoirs publics, longtemps obnubilés par l'entrée, coûte que coûte, à l'OMC, semblent désireux de réaliser une pause dans cette course effrénée vers le libre-échange. En effet, l'accord d'association, entré en vigueur en septembre 2005, et la signature de l'accord sur la Zale (Zone arabe de libre-échange) sont loin d'avoir apporté uniquement des avantages, loin s'en faut.
À titre d'illustration, la facture des importations n'a pas cessé de croître depuis 2005, alors qu'en parallèle, des recettes douanières ou fiscales ont diminué, en provenance de l'UE (suite à l'accord d'association) et de l'accord de mise en œuvre de la Zale, alors que le recettes des hydrocarbures dernièrement, pour un énième choc pétrolier, ont chuté de manière drastique. Les finances publiques ont fini par en prendre un sérieux coup. La facture des services importés n'a pas cessé de croître elle non plus. Alors qu'en 2006, elle s'élevait à 1,540 mds, pour les BTPH, la facture est passée à 2,658 mds, soit un accroissement de 72% !
En quoi sont gênés
les importateurs ?
Pour ce qui est des services techniques aux entreprises (pétrole, hydraulique, etc.), ils étaient de 1,69 mds en 2007, avant de quasiment doubler en 2008, pour atteindre 3,387 mds. Selon le Dr Bouyahiaoui, “les pouvoirs publics, alarmés par la progression de la facture des importations, ont utilisé le recours au crédoc comme une manœuvre de diversion. Leur but véritable est de contrecarrer les lobbies devenus de plus en plus puissants, capables de faire fuir des capitaux et possédant une capacité de nuisance jamais égalée à ce jour. Des affairistes devenus hommes d'affaires !” Selon lui, “il ne s'agit pas d'une mesure protectionniste, mais d'une mesure légitime de sauvegarde, car le crédoc demeure un simple moyen de paiement des plus utilisés dans le monde. Cette mesure universellement acceptée n'est pas propre à l'Algérie qui aurait dû y recourir systématiquement depuis longtemps. Car si elle n'est pas favorable aux importateurs, à cause de certains surcoûts, elle l'est davantage pour l'économie nationale qui s'en trouve mieux contrôlée”.
Quant aux nouvelles règles régissant les sociétés étrangères exerçant en Algérie (30% d'intéressement au capital pour les Algériens, lorsqu'un étranger compte activer dans l'import-export et 51% pour les Algériens dans les sociétés d'investissement dans l'industrie ou les services), “il serait intéressant, selon le Dr Bouyahiaoui, que les pouvoirs publics créent un fonds destiné à l'acquisition de parts dans ces entreprises, grâce au Fonds de régulation des recettes. Ces fonds pourraient être mis en Bourse. D'ailleurs, la loi existe pour la création de sociétés d'investissements privées et publiques”.
Naturellement, encore une fois, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Donc, wait and see.
D. Z.


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