Le phénomène n'est pas récent pour qu'il soit restrictivement le résultat de politiques de l'habitat. De Sidi Naâmane à l'ouest, à Azeffoun à l'est, de Tigzirt au nord, à Draâ El Mizan au sud, les villages, peu à peu mais irréversiblement se vident. Cette saignée qui s'accentue ces dernières années, laisse derrière elle des villages fantômes. Le phénomène n'est pas récent pour qu'il soit restrictivement le résultat de politiques étatiques de l'habitat: bien au contraire, la Kabylie a commencé à subir l'exode depuis le début du XXe siècle. Aux mêmes causes, les mêmes effets. Une virée dans les quatre coins de la wilaya permet de constater l'ampleur des dégâts. Si dans certains villages proches des chefs-lieux des communes, les habitants résistent encore, d'autres cependant ne sont habités que par un monotone silence. La vie semble déserter les villages. A l'exception, en de rares occasions, de vieillards, sous la protection ancestrale de burnous blancs et des vieilles femmes, se faufilant entre les maisons, aucun signe de vie n'est perceptible. Dans certains villages, l'animation et la monotonie alternent au rythme des week-ends et des vacances. Excepté les vendredis, le vide règne en maître des lieux le reste de la semaine. Les petites ruelles serpentant des villages ne retrouvent un semblant de vie qu'en été. «Les cimetières sont plus vivants que les djemaâs juste à proximité» ironise un jeune de Yakouren. Dans le village Imekhlaf à Sidi Naâmane, les gens ont été obligés de «vider» les lieux sous la contrainte de la situation sécuritaire. C'était le début de l'exode rural vers des lieux, alors, plus cléments à l'instar de Boumerdès, les Issers, Si Mustapha et Alger. Absence de politique de développement Le village a été abandonné. Ces habitants lui ont tourné le dos. Imekhlaf a vécu des temps difficiles. Aujourd'hui, avec le retour au calme, le village commence à retrouver une certaine animation. Mais, un peu plus haut sur les hauteurs, aux frontières de la wilaya de Boumerdès, un autre petit village souffre toujours de cette saignée. A Lemlaâb, petit bourg perché sur les montagnes, les îlots de maisons, certes dotés d'électricité et d'eau, sont silencieux. Aucune trace d'habitant. Dans la ville de Sidi Naâmane, parlant de ce village déserté, certains nous ont raconté que dans les années 90, les travailleurs de Sonelgaz ont dû abandonner les travaux à plusieurs reprises. Le terrorisme battait son plein. Quelques années plus tard, certains y retournèrent tandis que d'autres ont fini par trouver refuge dans les villes limitrophes comme Sidi Naâmane, Draâ Ben Khedda et Boumerdès. En dépit des commodités existantes, les populations refusent de réintégrer les villages. Dans d'autres villages proches de la ville de Tizi Ouzou, le matin, les étudiants et les travailleurs se ruent vers les arrêts. Quelques heures après, il ne reste plus que les vieux dans les villages. Ouaguenoun, Tizi Tzegouart, Ihdikaouen, Amalou, Taouinine sont toute la journée déserts. Rabah, un jeune de Amalou, nous dira qu'«ici, il n'y a que les retraités et les femmes au foyer, les gens actifs sont tous en ville à Tizi Ouzou. Mais, si le transport permet cette mobilité aujourd'hui, il n'en demeure pas moins que l'exode a commencé durant les débuts du XXe siècle. En ces temps-là, toutes les familles avaient plusieurs membres émigrés en France. A l'avènement de l'Indépendance, ce phénomène s'est accru. Il ne restait dans les places des villages que les vieux et les enfants». Pourtant, pendant ces années, les politiques de l'industrialisation et de la révolution agraire promettaient un essor de l'agriculture dans le but de retenir les populations rurales en place. Il est évident que la wilaya est à caractère rural et montagneux. Mais l'activité agricole était restée si caduque qu'elle ne représente plus une ressource pouvant assurer une vie digne. Dans les années 70, la loi permettant le regroupement familial en France allait donner le coup de grâce à toute la Kabylie. Les villages se vidaient au fur et à mesure. Les familles ne revenaient que durant les vacances pour disparaître les autres mois. Aujourd'hui, le constat est accablant. La situation est quasi générale dans tous les villages. Ni les conditions économiques, ni l'émigration n'expliquent ce fait. Certes, aujourd'hui les villages reprennent un semblant de vie, notamment durant les week-ends, les jours de fête, les enterrements et les réunions des djemaâs. Quant aux plus âgés, revenir est signe de repos comme le dira si bien un vieux de Tikobaïne: «Aussi loin qu'ils partent, les Kabyles reviennent soit morts soit pour mourir». La saignée continue Rien, en effet, ne semble renverser la vapeur. Quarante années après l'Indépendance, les villages continuent de se vider. Au nord-est, au-delà des raisons sécuritaires uniquement, la situation est plus dramatique. Le massif de l'Akfadou, plus que les autres régions, souffre désespérement de cette saignée. Loin de toutes les villes où l'activité économique parvient à regrouper les populations, les villages des communes de Zekri, Azeffoun, Yakouren, voire certaines localités de la wilaya de Béjaïa comme Adekkar et Akbou, se vident irréversiblement. A Azeffoun, tous les moyens semblent utilisés pour s'extraire de cet enclavement. Sur les lieux, les autorités comme les villageois, s'accordent à dire que le phénomène n'est pas nouveau mais ne tend pas à s'atténuer. Les villages des hauteurs se transvasent. Ainsi, dans les bourgs de Labache, Kellaâ, Aït Sidi Yahia et Tizza, les gens rencontrés affirmaient que «partir est la seule solution qui reste». A la mi-journée, les petites ruelles étaient silencieuses. Les jeunes étaient soit dans la ville balnéaire d'Azeffoun, soit à Alger ou à Tizi Ouzou. Les efforts des élus locaux restent inaptes à freiner cette vague. Le président de l'APC indique, à ce sujet, que le problème est plus profond: «C'est presque une question de culture plus qu'économique». «Ceux qui sont restés dans les villages préfèrent louer dans la ville d'Azeffoun et repartir dans les villages pendant les vacances d'été», dira M.Ouali avant d'ajouter que «la location en hiver ne dépasse pas les 6000DA alors qu'en été, les prix sont élevés». De ce fait, les villageois préfèrent regagner en été leurs maisons villageoises. A Zekri, les villages souffrent le martyre. Hormis de petites boutiques d'alimentation générale, aucune activité n'est présente pour retenir les gens. L'éloignement des zones urbaines actives et l'insécurité ont poussé des familles entières au départ. Megaura est un village pratiquement vidé. De la dizaine de maisons le composant, une seule reste habitée. Les oiseaux se cachent pour mourir Pire, le village de Aït Hsaïne est vide depuis que ses habitants, contraints par l'insécurité, ont squatté une vingtaine de logements sociaux au chef-lieu dit Lhed, en 2001. Jusqu'à présent, ils attendent leur régularisation. En vain. A Yakouren, la situation n'est guère meilleure. Tahagalt est un village fantôme. Ses habitants ont abandonné des terres agricoles et ont vendu leur cheptel pour s'installer à Alger et Tizi Ouzou. S'il est avéré que le massif de l'Akfadou est le plus exposé à ce phénomène, il n'en demeure pas moins que la situation est générale. Ikhlidjen est un village situé à l'autre bout de la wilaya. A quelques kilomètres de Larbaâ Nath Iraten, ce village a vu la moitié de ces habitants émigrer. L'Etat met les moyens en vue de stabiliser les populations. Mais en l'absence de commodités telles que les urgences, les villageois continuent de se rendre au CHU Nédir de Tizi Ouzou. Les salles de sport restent encore vacantes par manque d'encadrement et de moyens. Quant aux nouvelles technologies, sans les réseaux terrestres, les coins les plus reculés peuvent s'offrir des connexions au Web mais cela ne semble pas non plus retenir les villageois. En fait, toutes les personnes interrogées s'accordaient sur la nécessité de développer l'activité économique dans la wilaya. L'agriculture, la pêche avec les petites industries y afférentes pourraient constituer des opportunités pour un marché de l'emploi régional. De la consommation, la wilaya devra passer à la production. C'est l'unique voie qui s'avère être payante pour que les populations puissent renaître, vivre et mourir au bercail. Quelle que soit la distance qui sépare le Kabyle de son village, il revient toujours pour finir sa vie ou bien pour y être enterré. Mais, à ce rythme, la Kabylie ne risque-t-elle pas de devenir un grand cimetière?