L'été s'annonce particulièrement meurtrier. Contigu à la gare routière de la sortie ouest de Zéralda, un petit stade dont l'asphalte sert de terrain de football aux jeunes du quartier Draâ Es-Souk, situé en face de la gare. C'est ce stade qui a été, avant-hier, le théâtre d'une incursion terroriste sanglante. Vers 21h 40, alors que les jeunes du quartier entourés d'un paquet de supporters, s'adonnaient à des passes de balles, à la faveur de brise marine, surgit un homme, en short et portant une serviette sur l'épaule. Il demande à boire de l'eau. On lui en donne. Subitement, il sort une arme, qu'il avait dissimulée dans la serviette, un fusil à pompe, disent des témoins, et commence à tirer. La première victime est le jeune Bouabdellah Abdelkader qui tombe, touché au ventre. Deux autres terroristes sortis de la haie de roseaux, située à l'autre côté de la route, fondent sur la poignée de «supporters» assis à même le trottoir et commencent à tirer. L'un des deux terroristes est formellement reconnu comme étant le «manchot», émir de la zone du GIA, et qui n'a pas donné signe de vie depuis au moins trois ans. Un jeune tire avec son ballon et touche au visage le terroriste qui lui faisait face, un moyen de s'échapper. Il sera malheureusement abattu en pleine course, et hier encore, des traces de sang coagulé, émaillaient encore le bitume. En tout, six jeunes garçons à peine sortie de l'adolescence, seront tués sur le coup. Un septième a rendu l'âme hier, dans la journée. Il s'agit de Lotfi Bouaçla, Sellami Bouamen, Bouabdellah Abdekader, les deux frères Doumed et les deux frères Aouizrat. Deux personnes ont été aussi blessées dans cet attentat. Le conducteur d'une Golf noire a tout vu, en deux minutes. Un des terroristes, en retrait, tente de l'arrêter, mais celui-ci parvient à redémarrer en trombe. Le tohu-bohu qui accompagne ce carnage a permis à leurs auteurs de se replier. «Par le chemin des roseaux», disent les uns. «En voiture», disent les autres. Nous avons suivi le «chemin des roseaux»: il ne mène nulle part. En contrebas, il y a la mer. A gauche, comme à droite, il y a des brigades de gendarmerie. Le repli n'a pas, donc, pu se faire que par route. En voiture. Une? Deux? Plus? Il faut d'abord essayer de cerner le nombre des tireurs et du groupe qui les protégeait. Les estimations varient entre six, huit et dix. Les plus lucides des jeunes garçons qui pouvaient, hier, se remémorer les événements et les images de la veille, parlent de «huit ou plus». Comme pour le carnage de Khraïcia, nous avons affaire à un groupe d'entre huit et dix. Cela apparaît comme une stratégie d'attaque du GIA. Cela s'est vérifié lors de derniers massacres (Senhdjas et Khraïcia). Il y a plusieurs «incursions à blanc», pour tâter le terrain, «prendre le pouls» et élaborer la stratégie d'attaque. Le jour J est alors choisi, ainsi que l'heure et les hommes investis de la mission. Puis le groupe se scinde en deux. Le premier surveille en retrait, pour prémunir contre toute mauvaise surprise (patrouille de police ou autres), le second exécute le massacre. La fuite, quasi confirmée, par route, et vers Alger ou, du moins, le littoral algérois, renseigne sur l'existence de réseaux dans la capitale et sa proche périphérie. Il ne s'agit pas de trois artificiers du GIA, mais bien de réseaux qui se sont ressoudés, connectés, de nouvelles recrues qui passent quasi inaperçues dans le milieu urbain, et qui sont aussi efficaces et rapides que discrets et connaisseurs de leur zone d'activité. Cette nouvelle tuerie, commise dans une zone quadrillée et sous haute surveillance, sonne comme un autre démenti aux propos très suffisants de certains responsables de la sécurité, comme elle renseigne sur la transposition de la violence des zones-crise aux milieux urbains. En fait, nous sommes bien en face d'une nouvelle mutation de la guérilla urbaine. Bien sûr, beaucoup de zones d'ombre persistent, beaucoup d'interrogations se posent et s'imposent d'elles-mêmes, à longueur de ligne. Comme par exemple la levée du barrage fixe, justement 3 jours, avant que le carnage ne se produise. Comme ces fantômes qui transpercent Alger comme du gruyère. Comme cette nouvelle guérilla qui s'impose, aux prémices de l'été, comme une nouvelle donnée. Et le constat que l'on fait est le suivant: la régression enregistrée sur le plan sécuritaire devient inquiétante. Et c'est aux services de sécurité, en premier plan, d'être vigilants. Et de relever le défi.