Une nouvelle poussée de la violence terroriste a légèrement remodelé la cartographie des attentats. Cette reconfiguration de la violence n'est pas totalement nouvelle. Nous assistons à presque le même scénario qui n'a fait que changer de ville, sans changer de région, qui se transforme, sans changer de fond, et mieux, qui se mue par rapport aux nouvelles données sécuritaires, sans céder aux imposants dispositifs sécuritaires avec plus d'audace, plus de risques. Le terrorisme a fait d'importantes mutations dans ses structures, dans ses visées et dans sa stratégie. La dénomination de chaque groupe armé, son aire d'activité, ses méthodes d'attaque et de repli, son mode opératoire, ses cibles, ses moyens et ses hommes renseignent sur sa vraie nature. En fait, chaque attaque, incursion et tuerie portent la marque de fabrique de ses auteurs, à des nuances près. Avec près de 500 morts depuis le 1er janvier 2002, l'année en cours a consacré une volonté réelle de la part des groupes armés de renouer avec la violence et d'accaparer les espaces perdus. Pour les GIA (atomisation de la branche-mère en plusieurs sous-groupes disparates et quasi autonomes dans l'Ouest algérien, entre Khemis Miliana et Tlemcen, poussant vers Aïn Sefra et Béchar), il s'agit de rallumer la flamme du djihad et créer un climat de menace permanente en multipliant les massacres collectifs (exemple Tiaret, avec 54 assassinats en dix jours). Pour le Gspc, il s'agit de continuer à cibler les services de sécurité en poussant l'audace et la fréquence des attentats à leur plus haut degré. Pour les terroristes néourbains, surtout ceux de l'Algérois, ils ont, de leur côté, deux atouts majeurs. Le premier est la possibilité de se fondre aisément dans la foule et de passer quasiment inaperçus dans le tissu inextricable des villes. Le second est que la presse amplifie et répercute à souhait tout attentat qui se passe dans la capitale, aussi minime soit-il. La carte de la violence, du moins en ce qui concerne l'année en cours, peut être appréciée de cette manière : trois régions stratégiques: 1- Les monts de l'Ouarsenis La chaîne montagneuse de l'Ouarsenis offre le gîte à divers groupes séparatistes d'avec le GIA et quasi autonomes, en même temps qu'elle donne accès à plusieurs wilayas, Chlef, Aïn Defla, Tiaret, Tissemsilt, Relizane, Sidi Bel Abbes, etc. Cette précision permet d'apprécier l'aire d'activité et de repli de ces groupes. Tiaret, ville-phare du terrorisme pendant le mois d'avril (54 assassinats en dix jours) et actuellement une «plaque tournante» des groupes armés, avec une prédominance du groupe HDS (Houmat ed-daâwa es-salafia) et des incursions épisodiques du groupe Gspd de Abdelkader Saouane, de Derrag. Cette ville agropastorale aux montagnes rocailleuses et aux vastes steppes arides, donne accès à pratiquement huit wilayas, d'où son importance pour les groupes armés. Le triangle Relizane-Saïda-Sidi Bel Abbes, partagé entre les HDS et un groupe proche des visées du Gspc de Hattab (probablement responsable de l'assassinat des 22 militaires, à Saïda), semble un no man's land terroriste. La concentration de l'armée permet juste des «incursions» des passages calculés, non des longs séjours ou d'y établir un QG. 2- Le Zakkar Le triangle Blida-Médéa-Khemis Miliana continue d'être le fief du GIA originel. Un peu par nostalgie, un peu par stratégie (bonne connaissance au millimètre du terrain), un peu par habitude, le GIA continue de préférer cette aire d'activité fortement boisée et difficile d'accès aux ratissages militaires. Depuis que Zouabri a pris les commandes du GIA, le noyau de l'organisation est constitué de jeunes originaires de Blida, Boufarik, Attatba, etc. et qui connaissent leurs fiefs mieux que quiconque. Ouakal Rachid, l'Abou Tourab du GIA actuel, a reconduit les mêmes hommes et privilégient encore les natifs de la région. Cette aire d'activité, comprise entre Blida, Médéa et Khemis Miliana, avec une concentration sur le Zakkar, permet des accès à Attatba, Tipasa et Zéralda, et de là, des voies donnant accès au littoral. D'où les massacres épisodiques de l'été dernier à Tipasa, Djebel Chenoua, Aïn Tagouraït (ex-Bérard), Bou Ismaïl et Zéralda, et dernièrement, peut-être, à Cherchell. 3- La région kabyle La vaste région kabyle a été, dès le début, prise en étau entre Dellys, Bouzegza, Bouira et Jijel, c'est-à-dire entre quatre fiefs terroristes par excellence. Par la suite, le Gspc a développé une stratégie de vie en symbiose avec les populations locales, évitant soigneusement de s'en prendre à elles, et essayant, par divers moyens, d'en faire des alliées. Cette stratégie a abouti à prendre pour fiefs les maquis luxuriants et accidentés de Boumehni, Sidi Ali Bounab, Takhoukht et les alentours de Draâ El-Mizan, Draâ Ben Khedda, Maâtkas, Sidi Naâmane, Boghni, Dellys. La Gare Aomar, Tizi Ghennif... sont devenues autant de coupe-gorge, avec une concentration accrue sur les services de sécurité. La neutralisation des services de sécurité, pris dans la stratégie des émeutes sociales depuis plus d'une année, a permis aux divers groupes du Gspc de s'étendre, de se découvrir même en plein jour, en procédant à des prêches destinés aux villageois, contre «l'Etat apostat et corrompu», mais n'omettant jamais de les racketter au moindre virage. Le Gspc étend son activité à diverses autres régions de l'Est dont principalement Jijel, Skikda (épisode d'Oum Toub), Annaba, Tébesa et Souk-Ahras. A ces trois zones, il y a lieu d'en ajouter une autre, qui a ses spécificités, ses zones d'ombre et ses mystères: l'Algérois. Depuis le début de l'année, Alger a vécu une bonne vingtaine d'attentats à la bombe qui ont fait pratiquement le tour des quartiers: la Concorde, El-Biar, Belcourt, El-Harrach, la Grande-Poste, Birkhadem, Aïn Taya, Rouiba, etc. Des attentats ciblés ont touché des policiers (Aïn Allah, Bordj El-Kiffan, etc.), des jeunes adolescents (rue Hassiba). La rumeur a amplifié à souhait des faux attentats, de fausses alertes à la bombe, etc. Cette situation, particulière à l'Algérois, implique ce qui suit : nous avons affaire à des réseaux de soutien bien implantés dans le tissu urbain et dont la neutralisation requiert un travail de renseignement de longue haleine ; divers groupes, dont principalement le GIA et le Gspc, tentent de s'implanter dans l'Algérois et d'y mener une guérilla confuse et non revendicative, qui aurait, pour première, conséquence de brouiller toute lecture objective et immédiate. Cette guérilla urbaine induit des auteurs inconnus jusque-là des services de sécurité non répertoriés dans les fichiers de police et, dans la plupart des cas, ayant un casier judiciaire encore vierge. Cela induit aussi de nouvelles recrues, «puisées» généralement dans les agglomérations urbaines pauvres et le tissu urbain dense des quartiers populaires. Ce sont les néourbains et ce sont encore eux qui animeront les nouveaux foyers de tension. Conclusion Ce redéploiement ne doit pas occulter l'essentiel: on a affaire aujourd'hui à des groupes d'intérêt qui, après avoir évacué de leur optique (du moins en ce qui concerne le terrorisme en ville) toute visée théologique, ont adopté la stratégie de la menace permanente. Cette option permet de collecter des fonds, de rallumer des foyers de tension, qui ne sont pas des manifestations du djihad, loin s'en faut, mais bel et bien des distorsions de la violence, telle qu'elle s'est manifestée sous d'autres formes: sociale et politique à Tizi Ouzou et à l'Est, contestataire dans les prisons, etc. La distance prise par les citoyens vis-à-vis du terrorisme permet de situer l'échec des groupes armés à ce niveau. La «privatisation de la guerre» a été pendant de longues années un empêchement à toute avancée vers la paix. - Les wilayas 26, 44, 09, 42 et 38 restent particulièrement exposées aux incursions du GIA. - Les wilayas 35, 15, 10, 06, 34, 19, 18, 43, 25, 21, 04, 05, 28, 23, 36, 41, 24 et 40 sont une vaste aire dactivité du GIA. - Les wilayas 44, 38, 02, 48, 14, 17, 03, 32, 45, 13, 46, 31, 29 et 27 restent une aire dactivité de plusieurs groupes autonomes, dont le Gspd (44 et 38), le Ghds (hégémonique dans les wilayas 14, 48, 29 et 20).