«Ceux qui s'impatientent de me voir mort, ceux qui calomnient mon nom, à chaque col devront m'affronter.» Matoub Lounès Ils étaient des milliers. Jeudi dernier, Taourirt Moussa a repris son statut de lieu de pèlerinage. Quelles que soient leurs tendances politiques, Matoub, même mort, a pu les rassembler, l'espace de quelques heures. Le temps d'un recueillement et de quelques prises de photos. Il y avait aussi des fleurs, beaucoup de roses, pour orner la tombe la plus visitée en Algérie. Ce qui s'est passé vendredi dernier à Taourirt Moussa est phénoménal. On ne peut pas imaginer des dizaines de milliers de personnes affluer ainsi à un endroit sans qu'il y ait aucun appel au préalable en dehors de celui du coeur et de la mémoire. Nna Ouiza, 69 ans, est venue de Aïn El Hammam. Assise à même le sol, en face du portail principal de la maison de Lounès, elle échange des propos avec Chérif, qui a à peine 26 ans. Je ne peux pas rester sans venir à Taourirt en ce jour anniversaire. Matoub chantait: Win iwumi itstekes chfaya, ulaygahar letskal fellas (Il n'y a rien à attendre de celui qui a été happé par l'amnésie), souligne la vieille, accompagnée de sa fille. «Si Matoub n'avait pas été assassiné, il aurait produit 24 albums depuis 1998», réplique Chérif, qui avait quatorze ans en 1998. En ce douloureux anniversaire, la rencontre de Taourirt Moussa est là pour rappeler qu'une peine partagée devient plus supportable. Cet anniversaire est synonyme d'exutoire. Il est l'occasion pour revenir sur la journée fatidique du 25 juin 1998. «Le jour de son assassinat, j'ai été évacuée à deux reprises à l'hôpital de Aïn El Hammam», révèle Nna Ouiza, en voyageant dans le temps. Au milieu de la discussion, Mohand Boukhtouche, maire de Souamaâ, arrive sur les lieux. Il salue le groupe. Il est l'un des rares présidents d'APC à rester fidèle par les actes à la mémoire de Matoub Lounès. Chaque année, il vient comme les milliers d'Algériens honorer la mémoire du Rebelle. Un jeune observe l'absence des autres artistes à la cérémonie. «Il ne faut pas leur en vouloir, la jalousie est humaine. Ils n'arrivent pas à croire que 12 ans après sa mort, Matoub mobilise toujours des milliers de personnes. Quel est le chanteur qui pourrait rassembler autant de monde s'il animait un gala aujourd'hui?», élucide Mourad. Devant la tombe de Lounès, il est difficile de se frayer un chemin pour déposer une gerbe de fleurs ou juste pour prendre des photos. Dans le garage où est exposé la Mercédès criblée de balles, la même pression règne. Mais l'endroit où il y a le plus de monde, c'est devant l'entrée principale de la salle des expositions. Des dizaines de jeunes du village de Taourirt Moussa tentent, tant bien que mal, de canaliser toute cette foule. La tâche n'est pas aisée. Surtout entre 9h et 13h. Des bus entiers arrivent des wilayas de Béjaïa, Bouira, Boumerdès et de différentes régions de la wilaya de Tizi Ouzou. Des centaines de jeunes arrivent à pied à partir du village Taguemount Azzouz. Des étudiantes, des adolescents, des enfants, des handicapés, des vieilles, n'arrêtent pas d'atterrir au village le plus visité en Algérie. Hafid Azzouzi, notre confrère d'El Watan, n'arrête pas d'immortaliser ces instants impressionnants à l'aide de son appareil photo. Certains visiteurs, venus sous des chapelles politiques, passent complètement inaperçus. Là où il y a Matoub, il n'y a pas de place à la récupération. On vient chez Matoub comme on irait chez un saint tutélaire. Ceux qui étaient à Taourirt ce 25 juin comprendraient mieux pourquoi Matoub a été assassiné. Sa popularité défie la mort. Dans le cas Matoub, l'immortalité est un fait avéré. Une réalité incontournable: «Ceux qui s'impatientent de me voir mort, ceux qui calomnient mon nom, à chaque col devront m'affronter.» Ces paroles ont été plus que jamais d'actualité en ce vendredi rassembleur.