«Saha ramdhanek», cette formule remplace les salamalecs d'usage. «Je ne bougerai pas d'ici. Faites ce que vous voulez», crie un chauffeur, à la corpulence imposante, à la figure de deux policiers. La scène se déroule au pied du Palais du peuple à Alger. Le gaillard a immobilisé sa voiture au milieu de la chaussée. A côté de son véhicule, se trouvait une voiture de la Protection civile. «Ne me touchez pas!», vocifère encore le chauffeur à l'un des policiers qui essayait de le raisonner. Un coup d'oeil sur l'aile droite de la voiture suffit pour comprendre les raisons de la colère de l'homme. Elle a été touchée par le véhicule des pompiers. Et les policiers tentaient d'arranger les choses à l'amiable. Pour ces derniers, l'impératif était d'assurer la fluidité de la circulation. Surtout que l'on se trouvait à proximité d'un immeuble d'Etat. De son côté, le chauffeur demande d'être rétabli dans ses droits. Les effets du jeûne aidant, l'homme véhiculé est dans tous ses états. Nous sommes au premier jour du Ramadhan. Il est 10h30. Alger baigne sous les rayons du soleil. L'air marin atténue la chaleur de l'été. Cela dit, le taux d'humidité est très élevé. Nous déambulons dans les rues de la capitale. Elles sont relativement calmes. Sur la chaussée, la circulation est fluide. Alger se réveille péniblement d'un sommeil profond. Nous abordons la rue Didouche-Mourad. D'habitue, cette rue ressemble à un fleuve métallique constitué de toutes sortes de véhicules. Deux lignes humaines longent ses deux bords. Le vacarme qui règne dans cette rue est légendaire. Surtout près de la place Maurice-Audin. Aujourd'hui, ces lieux sont plutôt calmes ou...presque. Des cris attirent notre attention. Il s'agit d'une altercation entre deux hommes. «Laisse-moi tranquille s'il te plaît. Ce matin, je n'ai pas pris ma cigarette et ma tasse de café. Alors...», dit Ammi Ahmed, un retraité du port d'Alger, à son vis-à-vis. «Tu crois que tu es seul à observer le jeûne?», fulmine Arezki F, lui même retraité du port éponyme. Ces deux hommes se connaissent depuis trois décennies. Ils sont voisins du même palier, place Audin. Leurs liens se sont forgés au fil des ans. Ces liens se sont effrités dès les premières heures du jeûne. Le ton monte entre les deux hommes. Des passants s'interposent. Les deux hommes prennent des directions différentes. Nous prenons le chemin de la Grande-Poste. Les cafés, les salons de thé, les pizzerias, les quicks, les restaurants, tous ces établissements ont baissé rideau. Nous arrivons à la placette de la Grande-Poste. Elle abrite deux jardins. L'un en haut et l'autre en contrebas. Ce dernier est envahi par des vendeurs de livres. «Saha Ramdhanek», dit un client à un vendeur. Cette formule remplace les salamalecs d'usage. Le marchand affiche une grise mine. Il est dur, pour lui, de se départir de son petit-déjeuner habituel. «J'ai des maux de tête terribles», avoue ce quinquagénaire à son interlocuteur. Sous sa barbe grisonnante de trois jours, son visage est pâle. «Ce sont les effets du premier jour. Cela va te passer», le rassure le client. Le vendeur sourit. Mais son sourire ne diminue pas son mal. Le soleil est au zenith. La chaleur a sensiblement augmenté. Nous prenons un taxi pour aller à la place du 1er- Mai. Le taximan est un vieux. «Champ de manoeuvres?», lui demande un jeune qui vient d'arriver. «Oui», répond le vieillard d'une voix éteinte. «Apparemment vous avez observé le jeûne», lui dit le jeune homme un air moqueur. «Non! Je viens de prendre mon déjeuner. Et je me sens en pleine forme», lui rétorque le chauffeur, agacé. Le jeune prend place. «Il vaut mieux pour vous rompre le jeûne s'il vous met dans cet état», lance-t-il au taximan. Le vieux n'en peut plus. «Arrête de m'embêter. J'ai l'âge de ton grand-père.» Par cette réflexion, le chauffeur voulait remettre le jeune moqueur à sa place. Ce dernier ne s'avoue pas vaincu. Le taximan le stoppe net. Pis, il arrête sa voiture et l'invite à descendre. Le jeune client descend en marmonnant des insultes. Le vieillard démarre en trombe. Nous arrivons à la place du 1er-Mai. «Saha Ramdhanek», cette formule fuse de partout. Elle constitue la version ramadhanesque des salutations habituelles.