Le sénateur américain, John Kerry, était hier à Islamabad pour tenter de restaurer les relations entre les Etats-Unis et leur allié-clé, arrivées selon lui à un «moment décisif» après l'élimination, au Pakistan, d'Oussama Ben Laden. Le démocrate, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, est le premier haut responsable américain à se rendre au Pakistan depuis qu'un commando américain héliporté a tué le chef d'Al Qaîda, le 2 mai, à Abbottabad, ville-garnison à deux heures de route d'Islamabad. Cette attaque «clandestine», selon Islamabad, a provoqué un vif émoi au sein d'une population très majoritairement anti-américaine, non pas pour la mort de Ben Laden, qui a déclenché très peu de protestations, mais pour la «violation de la souveraineté» du Pakistan. La CIA, qui menait l'opération, a confirmé qu'elle n'avait pas averti les autorités pakistanaises de peur de «fuites». De hauts responsables américains ont, depuis, fait état de soupçons de «complicités» au sein de l'appareil militaire et du renseignement pour expliquer la présence du cerveau des attentats du 11 septembre dans une ville abritant plus de 10.000 soldats. De nombreux parlementaires à Washington prônent une plus grande sévérité à l'égard du Pakistan qui, dès la fin 2001, avait clamé son soutien à la «guerre contre le terrorisme» et livré, depuis, des dizaines de cadres d'Al Qaîda aux Américains. Le Pakistan, qui proteste mollement depuis 2004 contre les tirs très fréquents de missiles de drones de la CIA ciblant les taliban et Al Qaîda dans les zones tribales du nord-ouest, frontalières avec l'Afghanistan, a haussé le ton après le raid contre Ben Laden. Il a menacé Washington de revoir sa politique de coopération en matière de lutte antiterroriste si une telle incursion se reproduit. De leurs côtés, d'influents membres du Congrès américain réclament de couper les fonds considérables octroyés depuis fin 2001 par les Etats-Unis au Pakistan pour financer son effort de guerre contre Al Qaîda et ses alliés, qui se sont réfugiés dans les zones tribales depuis l'invasion de l'Afghanistan, fin 2001. Washington a donné plus de 18 milliards de dollars au Pakistan en près de dix ans, essentiellement sous forme d'aide à son omnipotente armée, et en 2009, sous la houlette, notamment de John Kerry, le Congrès a autorisé une rallonge de 7,5 milliards sur 5 ans en aide civile. Mais les observateurs estiment qu'il est périlleux pour Washington de s'aliéner la seule puissance militaire nucléaire du monde musulman, peuplée de près de 180 millions d'habitants, au moment où la coalition internationale composée aux deux tiers de soldats américains s'enlise dans sa guerre contre les taliban en Afghanistan. Le sénateur Kerry est arrivé tard dimanche soir à Islamabad et, signe que c'est l'armée qui dirige véritablement ce pays selon les experts unanimes, il a rencontré dès son arrivée le général Ashfaq Kayani, le tout-puissant chef d'état-major, reléguant à hier ses rencontres avec le président Asif Ali Zardari et son Premier ministre, Yousuf Raza Gilani. L'armée a assuré que le général Kayani avait fait part à M.Kerry de «l'émoi intense» qu'a provoqué le raid américain au sein de l'armée. «Il s'agit d'un moment décisif en ce qui concerne notre relation avec le Pakistan», avait déclaré, dimanche à Kaboul, M.Kerry. Avant la mort de Ben Laden.