Dix immolations ou tentatives de suicide par le feu ont marqué le Monde arabe ces dernières semaines. La toute première eut lieu en Tunisie le 17 décembre, quand un jeune marchand ambulant a mis fin à ses jours en se suicidant par le feu, déclenchant ce qui est devenue la «révolution de jasmin». Depuis, d´autres cas ont été signalés en Algérie, en Mauritanie et en Egypte notamment. Dans ce dernier pays, un avocat a tenté mardi de s´immoler par le feu, portant à trois les tentatives de ce genre en Egypte, avec la mort, à Alexandrie, d´un homme qui s´est aspergé d´essence. Le phénomène est sans doute ancien et connu, mais sa récurrence ces derniers mois dans les pays arabes marque de façon avérée le profond malaise de sociétés arabes qui ne sont plus en phase avec les pouvoirs en place alors que la situation sociale des plus démunis ne cesse de se détériorer. «L´âme arabe est brisée par la pauvreté, le chômage et le recul des indices de développement», admettait, hier à l´ouverture du Sommet économique arabe, le secrétaire général de la Liguer arabe, Amr Moussa. En fait, le geste désespéré du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi - diplômé et chômeur, subsistant par les ventes à la sauvette - à libéré les vannes des rancoeurs et frustrations, jusqu´ici contenues, d´une jeunesse arabe qui ne trouvait pas son compte dans un Monde arabe, confisqué par les oligarchies. Le schéma est partout identique dans un Monde arabe verrouillé où toutes formes d´expression étaient interdites et ou la répression reste encore le langage le plus usité par les pouvoirs en termes de dialogue. Mais lorsque ceux-ci opposent la sourde oreille aux demandes du peuple, le dernier recours de celui-ci demeure la violence et les émeutes - c´était le cas récemment en Algérie - quand tous les horizons sont bouchés, qu´il n´y a pas de répondant de la part des dirigeants. En fait, le pouvoir dans les pays arabes est un archétype qui se reproduit en autant de fois qu´il y a de pays arabes, que ceux-ci soient des monarchies ou des républiques. De fait, ces dernières ont de moins en moins le caractère républicain, devenant au fil du temps des «républiques-monarchiques», le fils héritant de la charge du père. On ne peut être plus insolent envers son peuple, auquel on fait comprendre, quelque part, qu´il est exclu des affaires du pays. N´est-ce pas le raïs égyptien, Hosni Moubarak, qui affirmait, dédaigneux, à l´ancien président américain George W.Bush - coupable de vouloir réformer le Moyen-Orient - qu´il sait «mieux que quiconque ce qui convient aux Egyptiens»? M.Moubarak est au pouvoir depuis 30 ans et prépare un de ses fils à lui succéder. El Gueddafi, lui-même au pouvoir depuis 41 ans, dans une adresse au peuple tunisien, leur assure que Ben Ali était le président «idéal» pour eux, l´estimant toujours le président légal de la Tunisie et est en droit à la «présidence à vie». En fait, c´est le même discours que l´on entend de l´Atlantique à la mer Rouge où les oligarques arabes n´ont cure des demandes et besoins de leurs peuples gagnés par le désespoir et la paupérisation. Cela a fait dire au chef de la diplomatie koweïtienne, Mohammed al-Sabah, en marge du Sommet économique arabe, que «des pays se désintègrent, des peuples mènent des insurrections, (...) et les citoyens arabes se demandent: est-ce que les régimes arabes actuels peuvent répondre à ces défis de manière dynamique?», reconnaissant le bien-fondé d´une révolte arabe plurielle. Reste toutefois à se demander si les dirigeants arabes vont saisir la leçon tunisienne et en tirer tous les enseignements afin de corriger un tant soit peu des politiques qui ont mené leurs pays à l´impasse. Or, cette leçon tunisienne, la rue arabe a vite fait de la prendre à son compte en prenant l´exemple du jeune désespéré tunisien.