Ce poète, inspiré pour les uns, maudit pour d'autres, s'est, dès son jeune âge, intéressé à l'Algérie. Il existe une «pensée algérienne» d'Arthur Rimbaud. Tous les amateurs de son oeuvre connaissent son fameux poème «Jugurtha» écrit en latin à l'âge de 15 ans. Il est né sur les monts d'Algérie un enfant peu commun. Et la brise légère l'a dit «Jugurtha nous revient». Le jeune prodige y expose la résistance du roi numide face à Rome, mise en perspective avec celle du nouveau Jugurtha, en l'occurrence l'Emir Abdelkader en lutte contre le colonialisme français. Par ce texte, où on trouve incluse une traduction en français et en arabe, l'essai «Rimbaud et l'Algérie», de l'universitaire tunisien Hédi Abdel-Jaouad, pose en liminaire une Algérie historique dans l'univers poétique émergeant d'un adolescent doué. Celui-ci est déjà Rimbaud le Voyant, Rimbaud le Voyou qui va obnubiler jusqu'à nos jours la littérature mondiale au point d'être érigé en mythe longuement commenté par René Etiemble. L'essayiste ne se contente pas d'analyser «littéralement et dans tous les sens» (intertextualité, lecture linguistique) le parallélisme Jugurtha-Emir Abdelkader qui s'avère si troublant par-delà les âges: même génie diplomatico-militaire, similitude dans la trahison des frères, même forfaiture dans la parole donnée par le vainqueur, récupération identique du héros vaincu par Salluste le latin et l'histographie officielle française. Il développe également l'intérêt sentimental de Rimbaud pour l'Algérie justifié par son père «officier dans les armées du roi» ayant participé à la conquête de 1830, puis chef du bureau arabe de Sebdou. A travers la figure de proue de ce père absent et perdu, le fils poursuivit une quête autant identitaire que narcissique dont on retrouve de sourds échos dans ses écrits, et particulièrement des traces reconnaissables dans «Les illuminations» et «Une saison en enfer». Mais si l'espace algérien a nourri partiellement l'imaginaire du poète, l'oeuvre de Rimbaud a fortement influencé les lettres algériennes de graphie française, Jean Amrouche, Jean Sénac, Kateb Yacine, Nabil Farès, Malek Alloula, Youcef Sebti, Habib Tengour, tous ces «fils du soleil» ont cité, réapproprié, imité ou pastiché «l'homme aux semelles de vent», l'errant par obligation comme le révolté par instinct. L'ouvrage s'achève sur la fortune du poète dans le monde arabe où il est «le plus connu et, peut-être, le mieux traduit». C'est sans doute parce que Rimbaud y a vécu, parlant sa langue, prononçant quelques fetwas d'après l'exégèse coranique, se faisant même appeler «Abdo Rimbo» et murmurant «Allah Kerim» en rendant l'âme. L'étude de Abdel-Jaouad, par ses révélations qu'il était temps de découvrir, par son analyse pénétrante sur les enchevêtrements et les ramifications de l'oeuvre-vie de Rimbaud, s'impose avec force. Comme son précédent ouvrage sur «Les écrivains maghrébins et le surréalisme» (1998), fruit d'une thèse remaniée et publiée dans la même maison d'édition qui est la sienne, il ouvre des voix novatrices en littérature comparée des deux rives de la Méditerranée. Aussi, il emporte facilement notre ferveur.