À Tlemcen, Bouteflika a proclamé que “l'avenir est aux sciences exactes et aux technologies, non aux sciences humaines”. La position tranchée du Président pose pourtant problème. L'avenir des sciences exactes et de la technologie ne fait aucun doute, en effet. Les économies et les modes de vie sont progressivement uniformisés et définis par l'âge technologique de la société. C'est la mesure première du progrès. Les civilisations se définissent désormais par leur essence technologique (société postindustrielle, civilisation de l'information, âge du virtuel…). Mais les sciences, fussent-elles exactes, ne se sont pas encore substituées à la conscience des hommes. Si bien, d'ailleurs, que les pays les plus avancés, appréhendant les risques attachés à un progrès scientifique débridé, se dotent d'instances éthiques chargées de vérifier la cohérence des applications scientifiques avec les valeurs d'humanité, valeurs élaborées au fil du progrès de la connaissance de l'homme et de la société. Au demeurant, nous n'en sommes pas à la controverse sur la priorité entre les sciences humaines et les sciences exactes ! Les questions qui se posent à notre université tiendraient plutôt à ses méthodes et à ses moyens. Et à ce qu'on pourrait appeler la morale universitaire. C'est cette approche techniciste moralement désincarnée qui nous a donné des ingénieurs qui trichent dans la composition du béton et qui ne savent pas rédiger leur première demande d'emploi. La dérive culturelle, véritable hypothèque de l'avenir du pays, nous semble due en grande partie à la régression des sciences humaines de notre société. N'est-ce pas notre enseignement de l'histoire qui a fait croire au jeune Algérien qu'il devrait s'identifier à l'Afghan hirsute et menaçant et lui a inculqué le devoir de rédemption sur ses parents trop tolérants ? N'est-ce pas notre enseignement de la psychologie qui nous empêche de comprendre l'inclination suicidaire qui pousse nos jeunes vers le terrorisme et la “harga” ? Que c'est notre enseignement de la philosophie qui a fait que le GIA ait pu recruter… des médecins et des ingénieurs ? N'est-ce pas notre enseignement du droit qui fait faire à un juge de la République des procès inquisitoires contre des non-jeûneurs ? Ce n'est sûrement pas l'excès de sciences humaines qui a mis notre université, et le pays, dans cet état. Tlemcen, justement, où de brillants chercheurs, comme Abdelhamid Hadjiat, s'occupent de faire revivre notre patrimoine culturel littéraire et dialectologique, utile pour la reconstitution de notre personnalité éclatée, avec le concours justifié de l'Unesco, ne mérite pas d'être le lieu où l'on condamne les sciences humaines. Sans aller jusqu'à fouiller dans le passé humaniste de Tlemcen. Mais la régression philosophique a fait qu'une fetwa, même la plus fantaisiste, a plus de popularité que le discours du meilleur sociologue et du meilleur juriste. Le populisme se nourrissant d'idéologie, et de fatalisme y trouve un meilleur allié, comme vient de le monter le discours sur la catastrophe de Ghardaïa. La sentence de Rabelais est certes usée, mais semble toujours vraie : “Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.” Pas seulement de l'âme, d'ailleurs. M. H. [email protected]