C'est une véritable surprise que Chadli ait parlé. Trente ans après son intronisation et dix-huit ans après sa destitution. Dans son rappel de péripéties critiques, comme la question de la base de l'Est ou celle du coup d'Etat avorté de Zbiri, l'ancien Président ne fait que confirmer ce que nous savons : l'histoire nationale est jalonnée de séditieuses conspirations, de purges claniques, de connivences meurtrières. Cela n'a pas changé. La culture politique a connu une longue constance : le silence politique constitue la meilleure assurance contre les brutaux réflexes d'autodéfense du régime du moment. Alors, sous prétexte de devoir de réserve, les exclus temporaires du régime s'imposent un mutisme qui frise l'état de dormance. Or, le devoir de réserve est une règle consubstantielle au principe d'alternance au pouvoir. Il a été inventé pour que les prédécesseurs ne gênent pas l'action de leur successeur, pas pour qu'ils couvrent leurs abus. Sinon le droit de réserve tourne à l'omerta. C'est pour cela qu'il faut peut-être se féliciter de toute prise de parole et, a fortiori, de celle d'un acteur prépondérant dans l'histoire politique récente du pays, comme le président Chadli Bendjedid. Même si cette tardive intervention ne correspond probablement qu'à un besoin d'expression passager. Le propos ne semble, en effet, pas avoir l'ambition qu'on serait tenté de lui prêter : celle d'intervenir à un tournant de l'histoire politique de l'Algérie qui remet en cause l'ambition démocratique que sa réponse au soulèvement d'octobre 1988 a rendue concevable. Il y a comme une démarche d'auto-réhabilitation sans désir d'influer sur le cours actuel des choses. Chadli aurait pensé à une Constitution “parlementaire” qui, dit-il, redonnerait la souveraineté au peuple. Treize ans de règne n'ont-ils pas suffi pour penser et mettre en forme une telle réforme ? La révision de 1989, rendue nécessaire par les évènements, a maintenu, malgré les immenses progrès démocratiques, le Parlement sous l'autorité autocratique d'un Exécutif toujours personnalisé ! Il faut ajouter qu'avec le piège islamiste, le pays a été minutieusement miné, par l'école et la télévision et le discours du FLN, contre la démocratie : la dictature ou l'islamisme. Avec Boumediene, le système a fait le lit de l'intégrisme ; avec Chadli, il l'a légitimé ; avec Bouteflika, il a réalisé la jonction du régime militaire avec l'intégrisme. Les régimes algériens ne se succèdent pas l'un contre l'autre, mais l'un grâce à l'autre ; dans un même système, le suivant n'est possible que par l'action du précédent ; l'un induit l'autre, dans un processus qui, tendanciellement, procède d'une descente aux enfers. C'est toute l'histoire de la formation de l'Etat algérien qui a instauré l'arbitraire politique, induit la corruption généralisée, élevé le terroriste au rang d'interlocuteur choyé et poussé les jeunes à la “harga”. Les polémiques de gérontocratie n'intéressent plus cette jeunesse qui a trop de preuves de son inanité. Et qui aime à la prendre à témoin, mais tout en refusant obstinément de lui passer le témoin. M. H. [email protected]