Jamais le sport de compétition n'a été exposé, comme ces dernières années, à autant d'agressions et de menaces, d'ingérences et d'exploitations. Il est le théâtre de certaines formes de violence qui portent atteinte à sa crédibilité et qui mettent en cause les valeurs qu'il se doit de défendre. Aucun secteur n'échappe à tous ces dangers, pas plus les rencontres locales et régionales que les rencontres nationales et internationales. C'est que la compétition sportive laisse, malheureusement, imaginer de la perversion si elle n'est pas de bout en bout contrôlée. Elle peut contenir certaines transgressions qui sont connues et anciennes : violence, dopage, corruption financière. Le fair-play est-il un comportement, une attitude, un état d'esprit ? C'est dans ce cadre que l'Amicale sport et fair-play a organisé, jeudi à l'Ecole supérieure du tourisme (hôtel El-Aurassi), une journée sur la compétition sportive et le fair-play ayant pour thème “Un jeu, une compétition, une formation”. Un débat de haute facture, rehaussé par les interventions de figures emblématiques du monde sportif national. Dans son discours d'ouverture, le président de l'Amicale sport et fair-play (Asfp), Abdelmadjid Rezkane, tout en précisant l'objectif de cette association, à savoir essentiellement la promotion du sport éducateur favorisant la socialisation et l'acquisition d'une morale et de vertus collectives, a rappelé qu'il est du devoir de tous de combattre les maux qui rongent le sport de haut niveau, tels les tricheries, le dopage et autres risques, et de rappeler sans cesse que le sport a ses règles et ses valeurs fondatrices qui se traduisent dans le fair-play qui n'est rien d'autre qu'une conduite sportive mesurée où l'on se respecte soi-même, autrui et la collectivité. “Une conduite sportive digne qui doit élever le comportement de l'athlète en un modèle d'équilibre physique et psychique et donc d'exemplarité pour la jeunesse”, dit-il. Yacine Ould Moussa, SG de cette amicale, transportera les présents à travers un voyage dans le temps en se posant la question dans son style de routier sympa de la presse pour savoir si l'organisation, le fonctionnement, le financement, la régulation, l'encadrement, le renouvellement des élites sportives et dirigeantes, l'appui et l'intervention des institutions publiques obéissent à un corpus de valeurs morales, sont soumises à des règles éthiques et éducatives qui fondent le sport qui, il ne faut pas oublier encore moins éluder, reste avant et après tout un jeu tout en étant une industrie du spectacle, pour ce qui est du sport de compétition, dans les pays industrialisés et développés. Ainsi, de 1962 à 1976, correspondant à l'époque de l'amateurisme, le conférencier explique que les acteurs du sport étaient pour la grande majorité des bénévoles. Malgré cela, le sport de compétition n'en était pas moins passionnant et passionné avec moins de retombées au plan international et aussi moins de ressources publiques dans les activités sportives. C'était l'époque où l'argent manquait voulant que la gestion réponde au principe de “gérer en bon père de famille”, que ce soit au niveau des clubs, des ligues, des fédérations ou des institutions publiques. Pourtant, selon l'intervenant, il convient de rappeler au bon souvenir des uns et des autres combien de jeunes de l'époque furent socialisés et intégrés dans le mouvement sportif en devenant à la fois de brillants compétiteurs nationaux et internationaux et par la suite des cadres de la nation exerçant dans de nombreux secteurs d'activité. Dans la deuxième étape de notre sport allant de 1976 à 1996 correspondant au niveau de développement atteint par le pays et au mode d'organisation et de fonctionnement de l'économie et de la société avec une prédominance du tout Etat. Cette période connut des résultats sportifs intéressants et un enthousiasme certain de la jeunesse mais, parallèlement, des abus et des excès dans la gestion des compétitions. Pour ce qui est de la phase actuelle qui a débuté en plein milieu de la décennie noire (1996), la société civile s'est retrouvée désormais en charge du sport de compétition pendant que l'Etat conserve la responsabilité de la politique envers la jeunesse et les sports, de l'orientation des programmes, de la planification des activités et des investissements, du contrôle, du financement des infrastructures, de la formation de l'encadrement, du sport de masse et des équipes nationales. Amateurisme marron d'hier et professionnalisme larron d'aujourd'hui Cependant, la société civile et les forces du marché ne sont pas encore elles-mêmes organisées pour prendre en charge de façon moderne et efficiente le sport de compétition engendrant, selon le conférencier, des dérives sur plusieurs plans. “Juridiquement, notre sport est-il professionnel ou amateur ?” s'interroge le conférencier. “Hier, nous avions l'amateurisme marron, aujourd'hui nous avons le professionnalisme larron. Il est peut-être temps de trancher la question et de mettre un terme à une transition qui n'en finit pas”, répond-il. Au plan de la transparence, une suite de questions tombent : que faut-il présenter, un bilan d'entreprise ou un bilan d'association ? Devant qui ? La DJS ou les services fiscaux ? Est-ce que les fédérations contrôlent les clubs et les ligues ? Les fédérations sont-elles contrôlées et sur quels critères et quels programmes de développement et d'action ? Au plan du financement, quelle est l'origine des fonds des sponsors ? Que dit la loi à ce sujet ? Au plan de l'encadrement, les dirigeants sont-ils des bénévoles ou des professionnels ? Ont-ils l'expérience et les qualifications pour gérer en fait des clubs qui sont devenus de véritables PME ? Au plan de l'encadrement, c'est la samba des techniciens. Pour la formation, personne ne veut former dans le sport de compétition et “les pieds carrés et les bras cassés se vendent à prix d'or”, souligne-t-il. Au plan de la place de l'argent dans la compétition, le fait que les joueurs ne souhaitent avoir aucune pérennité (le contrat le plus long est d'une année) est une attitude assez éloquente pour expliquer ce qu'est devenu l'amour du club. Au vu de ces dérives, les conséquences ne peuvent être, selon le conférencier, que catastrophiques. “La compétition fait plus référence à l'impérieuse nécessité d'arriver à ses fins et aux résultats à n'importe quel prix. Ainsi, les valeurs morales sont évacuées d'un revers de main et l'adversaire d'un jour devient un ennemi et non un compétiteur. En conclusion, le sport de compétition présente un cahier des charges dont il faut réunir au plus vite les conditions préalables pour éliminer les dérives.” C'est la résultante de l'environnement sociopolitique Membre de l'Asfp, Abdelkader Drif a dans son habituel franc-parler fait une esquisse sur le fair-play et son concept dans le sport et dans notre vécu national, précisant d'emblée que c'est une question de culture nationale et de niveau intellectuel. “Le fair-play n'est pas la seule responsabilité des gens du sport, mais bien plus, il interpelle le premier cercle du pouvoir politique et concerne, par conséquent, l'ensemble des institutions de l'éducation et du ministère de l'Intérieur. A contrario, il ne faut pas s'étonner que les stades se transforment en arènes de gladiateurs où l'enjeu n'est plus la simple victoire dans une simple rencontre, mais plutôt la mort de l'adversaire et de tous ceux qui sont du coté de cet adversaire. On continuera longtemps à chercher les causes de cette terrible dérive sans jamais arriver à mettre définitivement un terme à un fléau qui donne l'impression de trouver toute la force de se régénérer dans ce même milieu sportif censé professer une morale et une philosophie sportive. Pourquoi cela ?” se demande-il. Pour lui, la réponse se trouve dans le fait qu'on refuse de comprendre que le comportement d'une jeunesse, dans la rue comme dans le stade, n'est plus ni moins que la résultante de l'environnement sociopolitique dans lequel évolue cette jeunesse. “Le fait que la jeunesse s'attaque souvent à des installations sociales et économiques situées hors de l'aire de compétition prouve que la colère des jeunes n'est pas simplement en rapport avec le sport uniquement. Ceci pour dire qu'il ne sert à rien de réprimer et de sanctionner face à un fléau dont les causes dépassent le simple cadre d'une défaite en championnat et sont plus profondes et plus pernicieuses. La confrontation physique avec l'ordre ou le pouvoir n'est que l'aspect visible de l'option violence adoptée par le jeune comme forme d'expression”, conclut Abdelkader Drif. Les statistiques de la DGSN Les statistiques présentées par le représentant de la DGSN liées à la violence dans les stades montrent que les chiffres augmentent d'année en année. Durant 2008, il a été enregistré 186 incidents ayant causé la mort d'un citoyen et blessé 888 personnes, dont 525 policiers, 45 agents de la protection civile, 51 joueurs, 38 arbitres et 4 dirigeants de club. Au cours de ces incidents, la police a interpellé et présenté 769 personnes parmi lesquelles 221 mineurs. À ceci s'ajoutent les actes de vandalisme et de dégradation des biens publics et privés, dont 159 véhicules. Selon la DGSN, les causes de la violence dans les stades ont de multiples causes, parmi elles les insuffisances relevées au niveau de certaines infrastructures sportives, la programmation de certains matches importants sans consultation préalable des services de sécurité, la programmation de plusieurs rencontres, parfois importantes dans une même wilaya, la programmation des rencontres à enjeu dans des stades dont la capacité d'accueil est limitée, l'absence de comités de supporters, l'indiscipline de certains joueurs, le manque d'agents de sécurité au niveau des stades, le manque de professionnalisme et d'ascendance de certains arbitres. Au plan infrastructurel, il y a lieu de noter l'inexistence des normes de sûreté et de sécurité au niveau de plusieurs unités sportives, l'absence de séparation entre gradins et tribunes, l'absence de tribunes officielles, le manque des moyens de protection des accès aux vestiaires, les parkings. Notons que depuis 2004, les services de police ont interpellé à ce sujet 2 555 personnes, dont 660 mineurs. L'ouverture des débats a permis à plusieurs figures de la scène sportive d'apporter leur avis, à l'image de Hamid Oussedik, représentant algérien à l'Unesco, qui relève que certains cadres de la nation ont été remerciés aussitôt après avoir touché du doigt les véritables problèmes avec proposition de mesures adéquates, à l'exemple de Si Mohamed Baghdadi. Tour à tour, l'ancien ministre Aziz Derouaz, le Dr Bessalem et Kamel Guemar abonderont dans le même sens pour joindre leur point de vue aux premiers intervenants, mettant l'accent sur la nécessité de lutter contre les dérives mercantiles qui ont pris la place des valeurs ancestrales. Pour Saïd Allik, président de l'USMA, il faut revoir un certain nombre de facteurs comme les infrastructures sportives qui ne répondent plus aux normes, à l'exemple du stade Hammadi de Bologhine construit en 1930. De même qu'il s'est insurgé contre “la diabolisation” des présidents de club, les comparant à des mendiants à force de courir pour des rendez-vous auprès des autorités locales. “Vous ne vous imaginerez jamais les problèmes que rencontre un président de club”, s'est-il contenté de dire dans ce sens. A. F.