L'entrée en application, il y a quelques jours, d'un accord de cessez-le-feu passé en février avec le gouvernement pakistanais, au terme duquel ils ont obtenu la réinstauration de la charia islamique dans la vallée du Swat en échange de la paix, les talibans se sont enhardis et tentent d'étendre cet accord à tout le pays. Le district de Buner, à une centaine de kilomètres d'Islamabad, est en proie à une insurrection des talibans qui se sont assurés du contrôle d'une bonne partie de ce territoire, après s'être emparés de la ville de Shangla. Les insurgés ont installé leur quartier général dans le village de Sultanwas et contrôlent toutes les collines environnantes, selon des sources policières locales. Le président Asif Ali Zardani, veuf de Benazir Bhutto assassinée en pleine campagne électorale, a signé la semaine dernière l'accord controversé pour la vallée du Swat et qui couvre la région de Malakand, près de la frontière afghane et des zones tribales où se trouve l'essentiel des talibans et des forces d'Al Qaïda. Cet accord, considéré à juste titre comme une victoire par les talibans, semble avoir aiguisé leur appétit. Ils n'entendent pas en rester là, comme le prouve leur prise de Buner, aux portes de la capitale de la seule puissance nucléaire musulmane dans le monde. La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, avait qualifié l'accord, au moment de sa conclusion, d'abdication des autorités d'Islamabad. Jeudi dernier, elle a atténué ses propos en affirmant que le gouvernement pakistanais est conscient de la menace. De son côté, l'envoyé spécial de Washington pour l'Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrooke, a eu un entretien téléphonique avec le président Zardani, mais la teneur de leur discussion n'a pas été rendue publique. Une réunion s'est tenue jeudi entre les talibans et les responsables tribaux. Elle s'est terminée par quelques concessions des talibans, mais sans la promesse de se retirer de Buner et des édifices officiels transformés en base stratégique depuis qu'ils occupent la vallée voisine du Swat. “Nous sommes ici de manière pacifique pour prêcher la charia. Nous ne voulons pas nous battre”, aurait déclaré à l'Associated Press un insurgé qui se fait appeler Commandant Khalil, visiblement sans convaincre. Pour le général Athar Abbas, porte-parole de l'armée pakistanaise, “la situation dans le district de Buner n'est pas si catastrophique que certains veulent bien le dire”. L'avenir semble lui avoir donné raison, au moins conjoncturellement et en apparence, puisque dans la matinée de vendredi on apprend qu'un chef militaire taliban a donné ordre à ses troupes de quitter Buner. Un porte-parole des rebelles, Muslim Khan, l'a affirmé en précisant que le retrait serait immédiat. Il a aussi indiqué que des représentants du gouvernement et des talibans étaient en route vers Buner où ils seraient rejoints par des dignitaires religieux qui avaient négocié l'accord pour la vallée du Swat. Si ces informations se confirment, cela signifie que Buner pourrait subir le sort de la vallée voisine et être livrée aux talibans pour y appliquer la charia, en remplacement des tribunaux gouvernementaux. Ce serait alors un scénario catastrophe car une telle situation, pire qu'une victoire militaire des talibans, signerait leur victoire politique. On comprend, dès lors, l'inquiétude de la communauté internationale en général et celle des Etats-Unis en particulier. Surtout que la situation qui s'est fortement dégradée en Afghanistan ces dernières semaines est tributaire, en grande partie, de celle qui prévaut au Pakistan.