Les cafés aussi furent pour tisser les rencontres humaines, pour parler d'amour et d'amitié, de projets de mariage ou de voyage. Je vous parle des cafés. Les courants littéraires qui ont bouleversé l'histoire de la poésie, du roman et du théâtre, les écoles philosophiques qui ont marqué la pensée universelle, les révolutions dans la peinture et le cinéma, par et dans toutes les langues, tous ces mouvements vertigineux sont natifs du dessus des tables des terrasses de café, embaumées par l'arôme magique de la boisson noire. Toute l'intelligentsia créative, sans exception, dans le monde entier a fait la grande école, celle des célèbres cafés ! De Paris à Damas, de Rome à Alger, du Caire à Bagdad, de Beyrouth à Madrid, les cafés sont des lieux préférés et magiques pour les écrivains. De Sartre à Naguib Mahfûz, de Salvador Dali à Picasso, de Kateb Yacine à Aragon, de Camus à Sénac, de Siyyab à Le Clezio… tous ces créateurs cultivaient une tradition intellectuelle avec, dans et pour cet espace qui est le café. Dans d'autres pays, les cafés sont considérés comme des musées. Ils sont des réserves culturelles et patrimoniales de l'Etat. Ils sont des lieux de pèlerinage. Café Al-Rawda ou La Havana de Damas. El Fichawi du Caire. Paris de Beyrouth. Errousafy de Bagdad… Et chez nous, que passe-t-il ? Dans le hurlement des rues assourdissantes, on assiste à l'assassinat programmé des lieux hautement symboliques. Nos lieux symboliques, devant nos yeux, sur le feu doux du silence complice, agonisent. Ces lieux fleurés qui constituent une partie illuminée de notre mémoire, dans l'indifférence amère, meurent. Je vous parle des cafés ! Jadis, les jolies villes d'Algérie étaient connues par leurs cafés, par leurs splendides terrasses. Ainsi Alger avait Le Café Tlemçani, son café Lotus, l'espace qui a vu passer tous les intellectuels. Il fut l'identité culturelle de la ville. Aujourd'hui, cet espace est réservé au commerce du prêt-à-porter ! La honte ! Le café El Widad d'Oran n'est plus ! Amertume ! Ennakhla de Tlemcen est effacé ! Larme ! Nedjma de Constantine est oublié ! Deuil ! De ce fait, nos créateurs sont entrés dans une longue hibernation. Je vous parle de ces cafés de mon pays, de cette mémoire intellectuelle blessée, et je suis abattu. A. Z. [email protected]