Ils sont nombreux dans tous les domaines à quitter le pays pour s'installer dans les pays du Golfe, où ils trouvent les conditions idéales à l'expression de leur savoir-faire. Dès votre premier pas à l'intérieur de l'avion de Qatar Airways, vous découvrez un autre monde. Un accueil chaleureux et professionnel de la part des hôtesses et stewards de cette compagnie. Vous vous dites, c'est normal “je suis dans une compagnie 5 étoiles”. Ce n'est que lors de l'annonce du nom du commandant de bord que l'étonnement devient plus grand. Eh bien oui, le commandant est un Algérien. Il a été formé par l'école algérienne et a acquis de l'expérience au sein de la compagnie Air Algérie. Il fait partie des 45 pilotes algériens exerçant au niveau de cette compagnie aérienne de renommée mondiale. Ces pilotes de ligne font partie de ces cadres qui ont quitté le pays à la recherche de plus de considération, de plus de reconnaissance. Beaucoup ont été contraints de quitter leur pays. Ils disent qu'ils n'avaient pas le choix. Ils évoquent leur marginalisation par leurs chefs hiérarchiques. Malgré leur savoir-faire et leur longue expérience dans le domaine, ils se sont retrouvés un jour à l'écart. Au Qatar, même si la communauté algérienne demeure minoritaire, nous avons découvert qu'elle occupe une place de choix grâce à ses compétences. Elle s'est imposée dans plusieurs domaines. Lahbib Benali, journaliste à la chaîne de télévision El-Jazeera Sport est l'une de ces figures qui font honneur au pays. Il dit avoir réussi à s'imposer au niveau de la chaîne de télévision par son professionnalisme. “Ici, la clé de la réussite est à la portée de tous. Le seul critère reconnu c'est la compétence. Il n'y a ni piston ni copinage. Ta valeur est jugée sur le rendement”. Malgré son rang de vedette, l'ancien commentateur sportif de la télévision algérienne est resté toujours humble. D'ailleurs, il est un des rares journalistes à rendre visite aux athlètes algériens. La nostalgie est tellement grande qu'il ne peut se passer de revoir les amis sportifs qu'il avait côtoyés lorsqu'il travaillait en Algérie. “J'ai passé 29 ans au service des téléspectateurs algériens que j'ai servi avec amour et que je continue à servir car ils suivent les matchs diffusés par El-Jazeera que je commente”. Sur les raisons de son départ du pays, il n'hésite pas à mettre le doigt là où ça fait mal. “Après 29 ans de carrière, j'ai été mis à l'écart par ceux que j'ai formés. J'ai été poussé à quitter ma seconde famille”, se souvient-il en se gardant toutefois d'exprimer un quelconque ressentiment à l'égard de ceux qui l'ont marginalisé. Fairouz Ziani,ex-journaliste de l'ENTV, vedette chez le même employeur, éprouve elle aussi un grand amour pour l'Algérie. Contactée par téléphone, elle était toute heureuse de parler en dialecte algérien. Après les présentations d'usage, elle n'a pas hésité, en effet, à exprimer le “plaisir” qu'elle ressent “de parler à un confrère algérien”. Elle nous a même invité à visiter la chaîne mais le manque de temps ne nous l'a pas permis. Les Algériens au Qatar ont démontré leurs compétences dans différentes disciplines. Au sport, ils ont réussi à se mesurer aux grands. Le super grand Prix de Doha a été une occasion pour les entraîneurs algériens de se rencontrer. Ils se sont tous retrouvés au niveau de l'hôtel Sheraton. C'était un mini- congrès. Chacun d'eux a participé à ce tournoi international (qui a vu la participation de 45 pays,) avec l'équipe nationale du pays où il exerce. Le sentiment qu'ils éprouvent envers leur pays d'origine est grand. Autour de la table, ils discutent de l'Algérie, de son avenir, en général, et celui du sport, en particulier. Nous avons eu l'honneur de nous mettre autour d'une même table avec certains d'entre eux. Quand ils parlent de l'Algérie, ils connaissent les moindres détails de tous les sujets. Ils ont évoqué avec nous leurs réalisations dans ces pays mais aussi les raisons de leur émigration. En judo, l'un d'eux a réussi à s'imposer comme membre de la barre technique de l'équipe nationale du Qatar. Il s'agit de Mohamed Bouhedou, installé depuis trois ans à Doha. Parti dans le cadre de la coopération, il a réussi à décrocher un contrat de travail en qualité d'entraîneur avant d'être propulsé au poste de DTN. Ses 14 ans de présence à la tête de l'équipe nationale ont été plus que décisifs pour atteindre ces cimes, lui, qui, par le passé, a contribué à la formation de nombreux athlètes de rang mondial. Son attachement à l'Algérie est toujours grand. Il suit l'équipe nationale de judo lors de sa participation aux différents rendez-vous en apportant son soutien technique aux judokas algériens et ce, en déboursant de sa poche sa prise en charge et les billets d'avion. Pour lui, “voir le drapeau algérien flotter ne peut égaler tout l'or du monde”. L'instabilité qui prévaut au sein de la fédération de judo semble l'affecter profondément. Bouhedou se rappelle avec amertume la réponse qui lui avait été signifiée lorsqu'il voulait se porter candidat à la présidence de la Fédération algérienne de judo. Lui, qui voulait apporter sa contribution au développement de la discipline dans le pays, avait eu droit à un traitement qu'il n'hésite pas à qualifier d'humiliant. “Vous ne résidez pas en Algérie, donc, vous ne pouvez vous présenter”, telle a été la suite donnée à son dossier. Pour lui, la réponse est évidemment “antiréglementaire” et “n'est basée sur aucun texte”. “Je suis même exclu de la liste d'experts confectionnée par le ministère qui me donne le droit de me porter candidat alors que j'ai exercé durant 14 ans en qualité d'entraîneur national. Certains m'ont reproché de faire du bénévolat alors que je suis payé en devises au Qatar”. Cette situation est vécue par Nouredine Tadjine, ex-champion d'Afrique du 110 mètres haies en 1988. Outre son parcours de sportif, il a suivi des études en France et prépare actuellement son mémoire de doctorat. Il a passé sept années en qualité d'entraîneur au sein du Mouloudia d'Alger et en Equipe nationale. C'est en 2000 qu'il a quitté l'Algérie pour s'installer au Bahreïn. Il a réussi à former en sprint Rokia El Ghesra, la championne arabe qui arrive à rivaliser avec des athlètes américaines et jamaïcaines. Cette championne s'est retrouvée même en face d'Algériennes qu'elle a battues. “Le drapeau du Bahreïn avait été hissé le premier suivi de deux drapeaux algériens (2e et 3e places). J'avais un pincement au cœur mais j'avais cette fierté car c'est l'entraîneur algérien qui a réalisé cette performance. Aux pays du Golfe, ce sont les entraîneurs algériens qui créent la concurrence. On a réussi à s'imposer. Pour preuve au super Grand prix de Doha, il y a plus de 15 entraîneurs algériens qui font le bonheur de ces pays et réalisent les meilleurs scores”, se souvient-il. Les moyens manquent en Algérie Pour lui, les moyens font défaut en Algérie. “Lorsque les équipes étaient sponsorisées par des entreprises, elles avaient les moyens financiers. Aujourd'hui comme c'est l'Etat qui les prend à sa charge, les moyens sont devenus dérisoires. Les pays du Golfe ne lésinent pas sur les moyens. Pour eux, ce sont les résultats qui comptent”. Parlant des raisons qui l'ont poussé à quitter le pays, il pointe un doigt accusateur sur “l'ingratitude des responsables et la marginalisation”. Cet avis est partagé par Abdenour Krim, ex-champion arabe de saut en hauteur (1981) et vice-champion d'Afrique en 1982 avec une hauteur de 2,22m. En 1987, il devient entraîneur au RCK avant d'être nommé conseiller technique de l'Equipe nationale. En 1996, il décroche un contrat avec le Ahly Club jusqu'en 2001 où il fut nommé entraîneur national du Qatar et réalisa les titres de champion arabe et d'Asie. Les records au Qatar sont réalisés par ces athlètes toutes catégories confondues (minimes, cadets, juniors, seniors). D'ailleurs, l'un de ces athlètes, en l'occurrence Rached Belmanai, dans la catégorie juniors, a battu le record arabe détenu par l'Algérien Belfaâ depuis 1979. Lui aussi évoque la marginalisation dont il a été victime de la part de la fédération. “Il y avait une barrière entre nous et la fédération. Vous êtes soumis à l'une des deux choses : soit baisser la tête et se soumettre ou plier bagage et aller vers d'autres cieux”. Conséquence de cette gestion, “la relève n'existe plus”, selon lui. Mais, il n'y va pas par quatre chemins pour lancer son “j'accuse”. “Je pense sincèrement qu'il n'y a pas d'avenir. Les responsables n'ont plus d'amour pour le sport. Ils ne pensent qu'au clanisme, à l'argent et leurs intérêts personnels. En Arabie Saoudite, les meilleurs entraîneurs de saut en longueur sont des Algériens. Ils ont réalisé la première et la deuxième performance mondiale. On est heureux d'avoir des médailles d'or mais on est malheureux parce qu'on a battu des Algériens. Je me pose la question pourquoi ce n'est pas l'Algérien qui gagne”. Ce qui fait aussi mal à notre interlocuteur dans la gestion de l'athlétisme en Algérie, c'est le manque de moyens. “Quand je vais en Algérie, cela me rappelle de mauvais souvenirs. Je vois des athlètes s'entraîner au parking et le stade est fermé. Vous comprenez tout. Comment développer le sport alors qu'on ne dispose pas du minimum. Il y a des champions dans l'Algérie profonde. Il faut la volonté des dirigeants”, estime-t-il. Evoquant la question des élections des présidents de fédérations, il déplore les pratiques de certains qui ont la mainmise sur les votes. “Ce sont beaucoup plus des désignations”. Au Qatar, la compétence algérienne ne se fait pas remarquer uniquement dans le monde du sport. Dans le secteur de la santé, les médecins algériens sont parmi les plus réputés. Ils ont atteint des cimes, comme en témoigne le médecin personnel de cheikh Khelifa de Qatar (le père de l'émir) qui n'est autre qu'un Algérien, en l'occurrence le docteur Boulenouar Mesraoua. En pétrochimie, un Algérien travaillant dans une firme pétrolière qatariote a pu décrocher la première place dans un concours international. À l'université, les professeurs les plus actifs sont également des Algériens. Si les autres communautés travaillent dans les petits métiers, les Algériens sont pour la plupart des cadres supérieurs. La question qui se pose maintenant c'est quand est-ce que l'Algérie va pouvoir bénéficier de la compétence de ses enfants qu'elle a formés avant de les abandonner ? A. D.