Les harragas ont prouvé cette fois que ni la menace de poursuite pénale ni la mort ne peuvent les dissuader d'aller au bout de leur aventure. Les éléments des garde-côtes du groupement territorial de Annaba ont pu rejoindre et arrêter, hier à 3h, à 75 miles au nord de cap Rosa, 28 harragas qui étaient en fuite après les affrontements de la veille. Leur arraisonnement ainsi que leur rapatriement ont été effectués par les unités semi-rigides 366 et 336 de la Marine nationale, qui étaient en liaison directe avec les garde-côtes italiens. Ce dernier groupe de candidats à l'émigration clandestine avait pris, la veille, le départ depuis la plage d'échouage de Sidi-Salem, jeudi à minuit environ. Il se compose de 19 jeunes résidant à Annaba, auxquels s'étaient joints 5 Algérois et 4 Constantinois. L'âge des clandestins se situe entre 15 et 40 ans. Ils ont déboursé entre 80 000 et 150 000 DA pour pouvoir monter à bord de l'embarcation artisanale. L'acte de résistance dont ont fait preuve, ce vendredi noir, les 45 harragas interceptés par les garde-côtes dépasse l'imagination. Les pères de famille réalisent avec effroi que plus rien ne peut endiguer la volonté des harragas, qui ont prouvé cette fois que ni la menace de poursuite pénale ni la mort ne peuvent les dissuader d'aller au bout de leur rêve d'aventure. Cette fois, ils ont décidé de foncer comme des furies sur les semi-rigides de leurs poursuivants. Leurs frêles embarcations n'ont pas résisté au choc violent, et ils auraient pu tous périr comme le malheureux Hamza Ikram, qui était comme la plupart d'entre eux chômeur. Hamza, qu'une foule nombreuse a accompagné jusqu'à sa dernière demeure, vendredi, et qui laisse derrière lui une famille dans l'incompréhension des circonstances de sa mort violente. Il reste que six de ses compagnons, dont l'un a perdu une jambe, sont toujours hospitalisés pour des soins intensifs. D'autres devront comparaître devant la justice. Ça passe ou ça casse Aujourd'hui, des jeunes se jettent à la mer comme on saute d'une tour en feu. Devenu par la force des choses et au fil du temps incontrôlable, le phénomène de l'émigration clandestine, résultat de la pauvreté et l'absence quasi totale des conditions de vie, a donné lieu désormais à d'autres fléaux, en l'occurrence la confection clandestine d'embarcations destinées essentiellement aux harragas, des marins pêcheurs qui se sont transformés en “passeurs” et depuis un certain temps l'importation de moteurs 40 chevaux de marque Suzuki, le produit le mieux commercialisé au niveau des marchés spécialisés de l'est du pays. Ces barques “spéciale” harga, à fond plat et souvent d'une longueur de 7 mètres environ, sont réalisées à la base d'un matériau qui s'avère lui aussi d'origine douteuse et issu de trafic. Le bois avec lequel sont fabriquées ces embarcations est récupéré des chantiers des travaux publics, à savoir les madriers et troncs d'arbre d'eucalyptus servant de poutres ou de soutiens, a-t-on constaté sur place. Très probablement, ces matériaux sont détournés de leur destination d'origine pour servir à la “conception” de ces embarcations de fortune, conçues pour faire entasser une trentaine de jeunes candidats à l'émigration clandestine. En plus des “passeurs” et des “passagers”, tous également des clandestins, le matériau utilisé est aussi clandestin et impropre à son exploitation comme élément de base pour la fabrication de ces engins de la mort appelés à affronter les éléments naturels et une mer démontée. L'avènement de l'immigration clandestine à partir du littoral annabi a fait aussi le bonheur de beaucoup de marins pêcheurs locaux, qui se sont spécialisés carrément dans ce domaine en devenant des “passeurs”. Le profit d'un voyage (plus de 200 millions de centimes), dont la durée aller-retour se situe entre 13 et 14 heures, est beaucoup plus intéressant sur le plan financier pour ces gens de la mer. Il est l'équivalent de plus d'un trimestre de bonnes prises. B. Badis