Titre générique s'il en est d'un travail aussi exhaustif que méticuleux, Aux sources du nationalisme algérien, l'ouvrage publié par Casbah Editions, a le mérite singulier de restituer d'une manière magistrale la genèse du nationalisme séparatiste qui a revendiqué pour la première fois l'Indépendance sur la scène politique nationale. S'appuyant sur des archives par moment secrètes autant qu'inédites, à l'image de celles du Parti communiste français (PCF), par exemple, Kamel Bouguessa met particulièrement l'accent sur le fait que ce nationalisme séparatiste s'est développé aussi en exil, plus exactement au milieu d'une dynamique d'effervescence internationaliste. À ce propos, l'exhumation des archives des commissions coloniales, déposées à l'Institut marxiste-léniniste de Moscou, comme celles plus volumineuses du service de Liaison avec les Originaires des territoires de France d'Outre-Mer (Slotfom) de l'ancien ministère des Colonies, est, à l'évidence, des plus édifiantes. Privilégiant l'approche à la fois sociologique et économique, l'auteur de cette publication s'intéresse longuement à la formation de la première émigration algérienne en France et aux principales tentatives de politisation qu'elle a connues et qui ont joué un rôle dans l'éveil de sa conscience nationale. L'analyse, qui en découle, met en relief la formation d'une communauté algérienne sur le sol français, avec ses mécanismes et lois propres de fonctionnement et de reproduction, avec aussi, souligne l'auteur, des caractéristiques sociologiques particulières, ainsi que les différentes politiques auxquelles elle dut faire face. Que ces politiques aient émané des pouvoirs gouvernementaux et patronaux, ou qu'elles aient été l'apanage des syndicats et partis politiques, où la CGTU et le PCF se sont distingués, elles ont eu pour dénominateur commun la volonté de canaliser, de contrôler et d'intégrer à leurs stratégies respectives cette émigration en formation.Evitant les labyrinthes parfois imposés par l'historiographie pédante, l'auteur insiste sur le fait que l'examen des contenus réels de ces différentes politiques, la mise à nu des logiques qui les ont conduites et la prise en charge des types de réponses que les forces politiques en question proposaient aux problèmes de la communauté algérienne exilée, éclairent à coup sûr les réactions que cette dernière a eues par la suite, notamment à travers sa volonté délibérée d'en découdre avec le suivisme, d'asseoir son originalité et, partant, sa spécificité autant que sa différence. S'éloignant quelque peu des thèses soutenant que le prolétariat aurait occupé le devant de la scène et réussi à faire la jonction entre le nationalisme et les objectifs sociaux de la Révolution, Kamel Bouguessa soutient que le populisme révolutionnaire tel que porté par Messali Hadj n'avait rien à voir avec le mythe de l'ouvriérisme et d'une Etoile nord-africaine (ENA) prolétarienne. À ce propos, il ne serait pas exagéré de souligner ici le fait que le père du nationalisme révolutionnaire n'ait pas accordé, dans ses Mémoires, une place importante à la genèse de l'ENA. Son silence ou ses omissions, c'est selon, ont quelque peu favorisé l'émergence de fallacieuses approches, contribué à occulter des pans importants de la mémoire collective, notamment le rôle du soufisme insurgé et de l'émir Khaled, et donné naissance à d'édifiantes interprétations. Celle suscitée par Benjamin Stora ne semble pas satisfaire l'auteur de Aux sources du nationalisme algérien qui la considère, d'ailleurs, comme non conforme à la réalité historique tant l'argumentaire avancé est exclusivement centré sur un individu et les mythes inhibiteurs. A. M. [email protected]