Chapeaux verdâtres, tuniques aux couleurs nationales et drapeaux en bandoulière, les Criquets verts investissent le terrain au milieu d'un dispositif de sécurité dépassé. Jeudi 28 janvier, 14 heures. D'habitude calme et paisible, l'aéroport international Cotumba à Benguela connaît une ambiance particulière en cet après-midi torride. Sous un soleil de plomb, et au milieu de quelques touristes interloqués mais vite amusés, des centaines de supporters algériens s'approprient le bitume dans une cacophonie indescriptible. Chapeaux verdâtres, tuniques aux couleurs nationales et drapeaux en bandoulière, les Criquets verts investissent le terrain au milieu d'un dispositif de sécurité dépassé. “One, two, three, viva l'Algérie”, entonnent-ils pour annoncer la couleur. Sonia, venue de Lyon, rythme la cadence et exhorte sa troupe disciplinée à rendre hommage au président de la République, Abdelaziz Bouteflika, sans qui “nous ne serions pas là à Benguela”, pour soutenir les Verts. “Bouteflika, Bouteflika, allez, allez”, répète inlassablement la troupe. Puis Sonia, toujours avec la même autorité, invite tout ce beau monde à chanter l'hymne national. Qassaman est religieusement exécuté avant que la fête ne reprenne de plus belle. Les formalités douanières et policières sont longues et harassantes en Angola, le préposé au guichet prend même le temps de scanner le passeport et avec au moins mille “dossiers” à étudier, faites vos comptes… d'attente. Même les femmes y étaient “Moi, c'est Sonia, vous me connaissez, je suis celle qui avait envahi la première le Stade de France lors d'un certain France-Algérie le 6 octobre 2001, je suis venue encourager notre équipe nationale ; les gars, ils nous procurent tant de joie et de fierté que je suis prête à les suivre partout”, nous dit-elle avec une émotion certaine. “J'ai payé mon billet de Lyon à Alger et j'ai pu monter dans l'avion d'Air Algérie pour Benguela. Pour rien au monde, je n'aurais raté cet instant, c'est trop fort”, enchaîne-t-elle au bord des larmes. Comme Sonia, ils sont plus d'un millier à avoir puisé dans leurs économies pour être présents à Benguela pour le match de la CAN contre l'Egypte. “Franchement, je vais vous dire la vérité, j'ai vendu deux petites choses personnelles pour ramasser la somme du billet, je m'en fous, je voulais tellement assister à ce match”, nous avouera Mohamed d'Alger-Centre, le visage rayonnant de bonheur. Le bonheur d'être ici, “un privilège”, dit-il aux côtés des Verts. À quelques mètres, deux petites filles, pas plus grandes que trois pommes, scandent “tahia el-Djazaïr” à vive voix. “Je suis Dounia, j'ai raté l'école pour venir ici avec mes parents et ma sœur, c'est un devoir d'être là, pour l'école ce n'est pas si grave, le directeur m'a dit que je signerai ton bon de sortie, si on va en finale, j'espère qu'on va gagner mais je suis sûre que lui aussi aurait aimé être là”, ironise-t-elle. À côté d'elle, son père rassure. “Non, non, elle rigole, nous avons eu la permission pour les deux filles, le directeur m'a dit ce n'est pas grave, c'est pour la cause nationale”. Et d'ajouter : “Je suis d'Oum El-Bouaghi, j'ai casqué mon argent pour ramener avec moi ma femme et mes deux filles, elles disent que c'est un rêve qu'elles réalisent en assistant à un Algérie-Egypte. Nous sommes contents d'être là, j'espère que nous allons gagner. Si l'Algérie gagne, nous allons rester pour la finale, j'ai l'impression que nous allons assister à un moment historique aujourd'hui.” La zerda à benguela ! L'équipe d'Algérie est une histoire de famille quoi ! La fête bat son plein, hommes, femmes et enfants se mêlent à cette ambiance colorée même si la chaleur est très peu supportable. Des jeunes avides de liberté affluent devant les caméras des télévisions étrangères pour crier leur colère contre les chaînes égyptiennes. “Nous ne sommes pas des baltaguia (bandits), nous sommes juste un peuple qui aime son pays et qui n'aime pas la hogra. Nous sommes venus prêcher le fair-play et le beau football, la vérité c'est sur le terrain et nous sommes un pays leader en football, que les Egyptiens soient rassurés, ne nous sommes pas là pour faire la guerre, mais juste pour gagner un match de football”, souligne Karim d'Oran au micro de notre consœur Radia de MBC. Naïli, le joueur de l'USMH, est du voyage également, il est venu soutenir les Verts. “Je suis un footballeur, et je sais combien les joueurs ont besoin de ce soutien, nous sommes de tout cœur avec eux”, nous confie-t-il. L'attente est longue, mais l'ambiance est toujours bon enfant. Azzedine Bahloul, 55 ans, est venu de Constantine. Ce mordu du MOC suit l'EN où elle va. à la rencontre de “vieux fans” En 1982, il était en Espagne pour le match Algérie-Allemagne. “Dommage, je me suis fait choper par les flics au moment où j'ai escaladé la tribune pour saluer nos joueurs ; j'ai passé la nuit au commissariat, je n'ai pas vu le match mais aujourd'hui je le verrai sans aucun problème, que voulez-vous ? J'étais jeune et inconscient et puis j'aime tant mon pays”, raconte-t-il avec un brin de nostalgie. Et d'ajouter : “Cette équipe a de la gueule, elle ressemble à celle de 82, je suis sûr qu'elle fera aussi bien que son aînée.” Nous sommes interrompus par un pompier, venu avec 40 de ses collègues pour porter aux nues les Verts. “Khoya, kima fi Khartoum, kima fi Benguela, Inch'Allah nerbhou”, lance-t-il. Le personnel d'Air Algérie se met de la partie, chants et photos souvenir, les gars en costume sont accueillis en héros, histoire de rendre hommage à la compagnie qui les a ramenés en Angola à un “prix raisonnable”. 15h, la fatigue commence à se faire sentir ; normal les Algériens ont fait tout de même huit heures de vol et dans la matinée. Beaucoup sont déjà affalés à même le sol, alors que d'autres chantent à tue-tête pour tuer le temps. Au fil des minutes, le dispositif autour de l'aéroport est renforcé ; les responsables sur place font tout pour que les deux galeries ne se croisent pas ! Pas question de prendre le moindre risque ; l'ambiance est fort tendue quand un avion égyptien atterrit. Les deux camps sont séparés. Pour longtemps. “Qu'ils disent maintenant ce qu'ils débitent sur leurs chaînes pourries, qu'ils nous insultent maintenant, qu'ils osent et ils vont voir …” martèle Saïd qui se dit “allergique à tout ce qui est égyptien depuis qu'ils passent leur temps à nous insulter”. “Qu'ils sachent que nous avons un million et demi de martyrs et non de momies”, lance-t-il, le visage grave. 17 heures, le premier convoi des bus réservés aux Algériens démarre pour le stade, théâtre de la confrontation algéro-égyptienne. La procession est longue et se fait entendre. Quelques mètres seulement séparent le stade de l'aéroport. Une organisation rigoureuse Certains auraient voulu défiler en ville mais pas question, disent les organisateurs. Ils seront néanmoins amenés faire un tour du côté de Lobito où réside l'EN d'Algérie. “Maâlich, on va vibrer au stade et montrer au monde entier que nous ne sommes pas des fauteurs de troubles. Aujourd'hui, c'est l'honneur du pays qui passe avant tout”, dit Omar, 18 ans, de Médéa, venu le matin, grâce au don d'une association sans même avoir averti ses parents. “Je vais les appeler là, sinon ils ne m'auraient pas laissé venir, vous comprenez”, explique-t-il. Arrivés au stade, les supporters algériens, au nombre évalué à plus de 1 000, créent une ambiance de folie. Ils parviennent vite à soustraire l'enceinte de son silence. Devant eux, les Egyptiens se font tout petits. Ils sont peu nombreux pour faire le poids. Pourtant, ils sont les premiers, pour des raisons de sécurité peu évidentes, à rentrer au stade. La soirée ne fait que commencer. Les supporters algériens rentrent par petits groupes au stade ; ils sont surveillés comme du lait sur le feu. La partie dans les tribunes sera longue et harassante. Elle se jouera sur les nerfs.