Oubliée, remise en cause même, ces dernières années, Timechret signe son retour, au grand bonheur de nombreux villageois nostalgiques. Parmi les plus anciennes traditions en Kabylie, on peut citer Tiwizi (solidarité collective) ou Timechret, dite aussi Lawziâa. Ces dernières années, pour diverses raisons, Timechret a quasiment disparu dans de nombreux villages de la Kabylie profonde. Pour certains, la première cause est le multipartisme qui, avec les divergences entre les citoyens, a remis en cause cette tradition, alors que pour d'autres, l'avènement du terrorisme et son corollaire l'islamisme, en est une autre. Quels que soient les avis des uns ou des autres, les valeurs ancestrales prendront le dessus, n'en déplaise à ceux qui pensent le contraire. L'exemple nous est venu ce week-end de la grappe de villages des Aït Abdelmoumène (commune de Tizi-N'Tletta), dans le ârch d'Iwadhiyène, à quelque 35 km au sud de Tizi Ouzou. La journée de samedi dernier a été une grande fête dans cette région devenue en un court laps de temps un lieu de pèlerinage pour tous les habitants de ces différents villages, qui, depuis des années peut-être, n'y avaient pas mis les pieds. Ils sont venus de partout. Aït Abdelmoumène, à quelque 6 km du chef-lieu communal, a renoué avec cette tradition après plus de 24 ans d'oubli. “On dit que Timechret est suspendue depuis 1984, mais aujourd'hui, c'est vraiment un grand événement ici. On ne croyait pas que cette fête aurait tant d'échos. Regardez ! Quand on veut se réunir, c'est très facile”, nous dira un jeune, qui pour la première fois, découvre ce genre d'action commune. Pour réussir cette fiesta, une quête a été lancée dans tous les villages et hameaux de la localité. Ainsi, l'argent collecté a permis l'achat de 19 bovins. Au total, une bagatelle de 300 millions de centimes. “Tout le monde a mis la main à la poche. Il ne faut pas négliger l'apport de nos émigrés”, a ajouté un autre interlocuteur. Pour faciliter l'abattage de ces bêtes et gagner du temps, chaque comité de village (ils sont sept) a pris le nombre de bêtes qui lui revient, selon le nombre d'habitants. Car si l'immolation avait lieu dans une seule place, elle aurait pris plusieurs jours. C'est pour bien la réussir qu'elle a été décentralisée. “Chaque foyer a eu droit à plus d'une livre de viande. L'essentiel n'est pas la quantité, mais c'est surtout ce geste ressuscité qui fait plaisir à tout un chacun. J'espère que cette tradition va être pérennisée. Ici, ce sont les Kabyles qui sont en fête. Timechret n'a pas de couleur politique. Le retour à nos traditions est une condition sine qua non pour éviter à nos villages des dérapages”, a enchaîné cet universitaire. Au total, 7 360 habitants, plus exactement, ont mangé la même viande le même jour. L'initiative prise par ces comités de villages est à mettre au registre d'actions louables qui méritent d'être signalées et qui serviront d'exemple aux autres villages de la Kabylie qui ont mis toutes ces valeurs dans le registre de l'oubli. À Aït Abdelmoumène, Timechret est ressuscitée. D'autres traditions encore plus honorables attendent leur retour, pour le bien et la cohésion sociale ancestrale. Avant de quitter tout ce beau monde, des jeunes ont tenu à nous inviter à une autre grande fête quand le gaz naturel arrivera dans ces villages, à l'instar du chef-lieu.