S'attabler autour d'une bonne chtét'ha sardine est, désormais, un luxe que les gens d'El-Affroun ne peuvent se permettre. La raison ? Le kilo de sardines a atteint, ces derniers jours, au marché, le prix de 300 DA. Nombreuses sont les personnes qui, dès qu'on leur en a communiqué le prix, se détournent des casiers. D'autres n'hésitent pas à faire, au marchand de poisson, des réflexions ironiques sur fond de frustrations. “Est-ce que ce poisson, une fois consommé, me transformera en blonde aux yeux bleus ?” lui a susurré, sur un ton suggestif, une jeune femme ? “Je m'en vais, de ce pas, acheter des abats de poulet pour 150 DA le kg et me faire une bonne chtét'ha !” a renchéri, quant à elle, une dame âgée. Elle nous apprendra, du reste, qu'en matière d'ail (condiment de base de ce plat typiquement algérien), elle connaît une bonne méthode pour le conserver, à la fin de l'été.C'est que ce bulbe, un incontournable de nos menus, est, actuellement, inaccessible. L'ail rose algérien, très prisé et plutôt rare en cette saison, coûte (quoique germé) 700 DA le kg. Un prix jamais atteint ! Le produit importé de Chine présenté en petits filets de cinq têtes à gros caïeux chacun est cédé à raison de 400 DA le kg. Peu goûteux (plutôt fade), il reste dédaigné malgré l'attrait qu'il présente et son prix relativement bas par rapport à l'ail algérien. La rumeur court sur le danger lié à sa consommation : il serait cancérigène. Devant cet état de fait, une mère de famille nous a avoué s'être risquée à préparer une “dersa” à base d'oignons (à défaut d'ail) pour fourrer ses sardines. La préparation séculaire risque, au rythme des substitutions, de connaître de profondes modifications. Ces transformations, si elles venaient à se généraliser, introduiraient forcément de nouvelles recettes de cuisine et, partant, des changements d'habitudes alimentaires avec, à la longue, une adaptation de nos goûts. De la sardine de nos côtes à 300 DA et de l'ail de la Mitidja à 700 DA : une aberration inquiétante !