M. Rebrab, le gouvernement a rendu public le programme d'investissement pour la période 2010-2015. Une enveloppe de 286 milliards de dollars a été dégagée. Quelle est votre appréciation ? Issad Rebrab : C'est une somme colossale que l'Algérie n'a jamais dépensé pour une si courte période. C'est bien d'investir, mais il faut le faire de manière judicieuse. Voyez-vous, par exemple, ce qui pourrait rendre compétitive l'économie algérienne ? C'est surtout ses ports. Aujourd'hui, l'Algérie perd chaque année plus de 2,6 milliards de dollars à cause de ses infrastructures portuaires dépassées. Depuis l'Indépendance à ce jour, on n'a pas construit un seul port de dimension mondiale. À l'Indépendance, l'Algérie comptait 8 à 9 millions d'habitants. Aujourd'hui, nous sommes 35 millions d'habitants. Et depuis, on a construit deux ports : un à Arzew et un autre à Djen Djen. Celui d'Arzew est spécialisé dans les hydrocarbures, alors que celui de Djen Djen est un tout petit port, qui a d'ailleurs un seul quai de 18 mètres de profondeur et moins de 90 hectares de superficie. Tous les autres ports que nous avons hérités de l'époque coloniale sont aujourd'hui étouffés par les tissus urbains. Ils ne peuvent pas être développés. Comme celui d'Alger, étouffé par la capitale et qui, lui-même, étouffe la capitale. Et puis, il n'y a absolument aucune possibilité d'en faire un port de dimension mondiale au niveau de la Méditerranée. Que ce soit celui d'Oran, de Mostaganem, de Skikda ou bien d'Annaba ; tous ces ports, au jour d'aujourd'hui, sont étouffés par le tissu urbain. Ils n'ont aucune possibilité d'être ni modernisés ni étendus ou agrandis. Or, l'idéal c'est de faire trois grands ports de dimension mondiale. Un au centre du pays, un autre à l'Ouest et un autre à l'Est. Construire des ports de dimension mondiale permettra, non seulement, de rendre l'économie nationale compétitive à l'international du fait des baisses des coûts de transport attendus, mais aussi de servir de hub portuaire au niveau régional. Au jour d'aujourd'hui, tous les containers transportés d'Asie vers l'Algérie ou des Amériques vers l'Algérie, doivent obligatoirement passer par un port intermédiaire européen. Et cela coûte cinq fois le prix à l'Algérie. Vous savez qu'un container transporté entre Anvers et Singapour ou Hong Kong, ou bien entre Rotterdam et Singapour ou Hong Kong, ou n'importe quel port d'Asie du Sud-Est, coûte 500 dollars. Le même container qui vient d'Asie vers l'Algérie, le fait qu'il soit transbordé par un port européen, revient à 3 000 dollars, soit six fois le prix ! Et ça, quand vous transportez de la matière première qui vous coûte cinq fois le coût du fret, vous êtes obligé de l'inclure dans votre prix de revient. Difficile d'être compétitif dans ces conditions lorsque vous exportez votre produit fini. Et dans le plan d'investissement projeté pour les cinq années à venir, je remarque, avec un grand regret, qu'on ne parle que de la réalisation de ports de pêche et la modernisation de un ou deux ports. Cela ne va pas dans l'intérêt de l'économie nationale parce que cela n'a pas été discuté. Il n'y a pas eu de débat. Il suffit, par exemple, de réserver uniquement 10% des 286 milliards de dollars prévus, c'est-à-dire 28 milliards et 600 millions de dollars, à mettre dans des fonds d'investissement destinés au financement du secteur privé pour dynamiser d'une manière fantastique l'économie nationale. Le problème, c'est qu'on a toujours négligé et sous-estimé les capacités managériales des Algériens. On a toujours réduit les Algériens à moins que rien. Et tout ça, c'est à cause de l'absence de débats. Le drame de l'Algérie, il n'y a pas de débat. (….) Quelle est votre solution pour rendre notre économie compétitive ? C'est très simple, il suffit d'influer sur la composition des coûts de production. Je vous ai cité l'exemple des matières premières et du coût du transport maritime. Il y a aussi le coût du foncier industriel. Aujourd'hui, les opérateurs économiques paient le coût du terrain le plus cher au monde. C'est anormal, l'état ne doit pas essayer de s'enrichir sur le foncier, il doit s'enrichir, au contraire, par la création de la valeur ajoutée dégagée par les différentes industries et des différents investissements à travers la fiscalité. Et d'ailleurs, le plus gros revient à l'état. Au niveau du groupe Cevital, 99% de notre chiffre d'affaires sont réinvestis, 59% sont versés au budget de l'état et 40% servent à lancer et à financer de nouveaux projets. Seul 1% revient aux actionnaires. Donc, il faut que l'état prenne des orientations dans le sens d'une réduction du coût des investissements à travers notamment le foncier. Et le reste, évidemment, ce sont les opérateurs qui doivent savoir bien acheter leurs équipements et réaliser rapidement leurs investissements et à moindre coût. (Extrait de l'entretien accordé au Forum du commerce extérieur)