La visite à Alger de Gunther Oettinger, commissaire européen à l'Energie, qui a participé en tant que “partie associée” au Conseil ministériel maghrébin consacré à l'intégration des marchés électriques de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie au sein de celui de l'Union européenne (UE), témoigne de la volonté de l'UE d'accélérer ce processus d'intégration. Le tout est de savoir quelles en seront les contraintes à supporter, les concessions à faire ainsi que les contreparties attendues par l'Algérie qui en constitue l'acteur le plus singulier. C'est l'objet de mon propos aujourd'hui car les choses ne sont pas aussi simples qu'il n'y parait. Acteur singulier, l'Algérie l'est pour deux raisons. En matière d'énergie carbonée, elle fournit et couvre une partie significative des besoins de l'UE sous la double pression actuelle d'une baisse des prix du gaz naturel (fermeture annoncée du marché spot américain du GNL) et d'une menace sur ses parts de marché de la part de la Russie et du Qatar pour le moment. Elle aura donc besoin de serrer les lignes sur ce front. Une de ses demandes serait d'obtenir des garanties dans ce domaine à la faveur de la signature de l'accord stratégique avec l'UE sur l'énergie, même si cette dernière lui opposerait les conditions d'un marché ouvert et compétitif. De plus la difficulté à trouver un consensus sur la question résidera également dans la volonté de l'UE de “décarboniser” ses systèmes énergétiques sur le long terme au détriment des pays exportateurs d'hydrocarbures, notamment par l'instauration d'une taxe carbone qui tirera les prix vers le bas.Sur ce long terme précisément, l'Algérie est aussi concernée par les énergies renouvelables, essentiellement solaires, du fait de l'importance de son gisement solaire saharien en termes à la fois de surface disponible, d'intensité et de durée annuelles d'ensoleillement et de la proximité de l'Europe. Pour ces deux problématiques, la prudence affichée par le nouveau ministre algérien de l'Energie, Youcef Yousfi, m'apparaît tout à fait explicable et légitime. Voyons pourquoi. L'harmonisation déjà engagée des cadres législatifs, réglementaires et techniques de production, de transport et de distribution de l'électricité entre les trois pays du Maghreb ne semble pas poser de gros problèmes. En revanche, la convergence tarifaire à double détente de l'électricité, d'abord au niveau maghrébin et ensuite au niveau de l'UE n'est pas évidente pour l'Algérie. Je vois au moins deux conséquences négatives si cela se traduisait pour nous par une forte augmentation des prix de l'électricité. La première est la pression qui s'exercera alors sur les ressources gazières du pays pour les transformer en énergie électrique du fait de l'augmentation des prix de vente de l'électricité couplée à un faible prix du gaz. La seconde serait la perte de l'avantage concurrentiel que représente le prix de l'électricité pour l'Algérie qui s'est toujours battue pour conserver le “double prix” de l'énergie. Il faut rappeler à cet égard que l'électricité bénéficie, pour sa production, d'un prix du gaz plus faible que pour les activités industrielles utilisant l'énergie comme input. On peut ajouter également la difficulté de la gestion politique de la pression sociale qui en résulterait car les ménages algériens considèrent déjà que le prix est très élevé. Sur ces sujets, il faut quand même relever que l'UE elle-même n'arrive pas encore à obtenir dans son espace l'harmonisation tarifaire qu'elle demande au Maghreb. Chacun sait par exemple que le prix du kilowattheure de l'électricité en France n'est pas le même que celui pratiqué en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne pour la simple raison que le premier pays cité dispose d'un parc électronucléaire historiquement amorti qui participe à 75% de la génération électrique. Deuxième exemple, le prix du gaz naturel augmentera en France de 5% en juillet prochain alors que son prix d'achat international a brutalement diminué. On voit bien que, s'agissant de la tarification et des prix des produits énergétiques, les choses ne sont pas aussi simples car leurs marchés sont non seulement imparfaits et inachevés, encore plus lorsqu'il s'agit des pays du Maghreb, mais obéissent aussi à des facteurs géopolitiques. S'agissant de l'horizon plus lointain des énergies alternatives que l'UE souhaite intégrer dans l'accord stratégique sur l'énergie beaucoup d'incertitudes restent à lever. Pour l'Algérie, qui a l'expérience du financement, de la réalisation et de l'exploitation de grands projets énergétiques transcontinentaux, il me semble qu'un simple “soutien” de l'UE et son inscription comme “stratégique” par cette dernière sont loin d'être suffisants pour l'engager dans un projet de production et de transport d'électricité solaire estimé à 400 milliards d'euros comme celui de Desertec. L'UE et des pays membres comme l'Allemagne ne veulent pas, pour le moment, mettre un euro sur ce projet se contentant “d'un soutien technique” alors que tout le monde sait qu'au niveau actuel des coûts de production et de transport de l'électricité électro-solaire les seules forces du marché ne sont pas suffisantes pour permettre un retour sur investissement. En vérité, et pour conclure, ce n'est pas tant l'inexistence d'autorités de régulation indépendantes en Tunisie et au Maroc, que les difficultés et la complexité à monter le financement d'un tel projet qui posent problème. C'est pour cela que l'UE reconnaît que “tout reste à faire dans ce financement privé parce que l'intérêt doit être public”. Il faudra sans doute donner du temps au temps pour que l'Algérie et les autres pays du Maghreb puissent fournir ces 15% d'énergies renouvelables à l'UE afin que cette dernière atteigne l'objectif de 20% d'énergies renouvelables dans son panier énergétique. Pour le moment, le compte n'y est pas.