Ils ont leurs terrains de chasse privilégiés avec l'aval exprès des plus hautes autorités de l'Etat. Les émirs du Golfe viennent en Algérie pratiquer leur sport favori en toute impunité. Les populations locales dénoncent. Un ancien commandant de l'ALN témoigne “Le braconnage est autorisé par Bouteflika” Moulay Brahim raconte comment Larbi Belkheir l'a convaincu de recevoir, en 2000, les émirs à El-Bayadh, sur ordre du Président. Le braconnage opéré par les émirs du Golfe sur la faune saharienne est autorisé par le président Bouteflika en personne. C'est ce que révèle Moulay Brahim, dit Abdelwahab, un ancien commandant de l'Armée de libération nationale (ALN). Contacté hier par téléphone, il a affirmé à Liberté que “c'est le président Bouteflika qui nous a demandé de recevoir ces émirs quand ils sont venus à El-Bayadh” durant l'année 2000. Exprimant des réticences à recevoir ces émirs, Moulay Brahim s'est vu convaincre par l'actuel directeur de cabinet de la présidence de la République, Larbi Belkheir. Ce dernier lui a dit sur un ton conciliant : “Il ne faut pas faire honte au Président, ce sont ses amis et ses invités. Il faut donc les recevoir comme il se doit.” Dès leur installation à El-Bayadh, les émirs du Golfe se sont sentis en terrain conquis, explique l'ancien commandant de l'ALN. Preuve en est que ces émirs se sont même disputés avant de se partager les terrains de chasse à El-Bayadh. Il explique que “les émirs du Golfe, du Qatar et d'Arabie Saoudite se sont partagé trois régions à El-Bayadh où chacun d'eux a pris un terrain de chasse : Oued Enamous, Oued El-Karbi et Oued Sangar”. Même topo à Ghardaïa où ces émirs se disputent des terrains de chasse. Mériam Benkhlifa, la vice-présidente de l'Assemblée populaire de wilaya (APW) de Ghardaïa, l'a affirmé dans un entretien paru dans Liberté le 1er septembre dernier. “Les Qataris, les Emiratis et les Saoudiens se disent les uns aux autres : celui-là, c'est mon terrain de chasse, ce n'est pas le tien”, a-t-elle indiqué. À Naâma, les émirs distribuent des dollars à la population pour se faire admettre parmi eux. “Tel émir vous offre cet argent”, disent leurs émissaires à la population. À Béchar, où ils sont nombreux à venir braconner la faune, les émirs font, chaque année, des promesses de construction de centres de santé et de logements aux populations locales pour les amadouer. Mais les émirs qui traquent les outardes, les gazelles, les perdrix et les faucons ont commis un véritable carnage sur la faune saharienne. “Ils ont fait un véritable carnage dans la région en assassinant tout son gibier”, affirme Moulay Brahim tout en précisant qu'“ils ont tué par dizaines des gazelles, des outardes, des perdrix et ont chassé les faucons”. Le président Bouteflika lui-même a reconnu en Conseil des ministres, le 24 août dernier, le carnage. “Même si nous entretenons des relations particulières avec ces émirs et qu'ils sont nos amis, il demeure que ces gens-là sont plus cruels chez nous que chez eux. Un, à lui seul, a tué 500 outardes !”, aurait déclaré Bouteflika. Ces émirs du Qatar, d'Arabie Saoudite et du Golfe chassent de jour comme de nuit et surtout en période de gestation des outardes, des perdrix et des gazelles, nous a précisé Mériam Benkhlifa. “Ils ont de gros porteurs et des avions parqués en permanence. Ils transportent leur gibier par cargos”, a-t-elle précisé. Mais, selon Yazid Zerhouni, les émirs du Golfe ne font pas du braconnage. “Ces personnalités chassent avec des autorisations officielles et dans des conditions portant sur la protection de la faune imposées par le ministre de l'Agriculture”, a-t-il expliqué, lundi dernier, dans un point de presse en marge de la visite du Président à El-Bayadh. Mais le massacre commis en toute impunité contre la faune saharienne par les émirs à El-Bayadh, à Ghardaïa, à Naâma et à Béchar a créé un véritable mécontentement parmi la population qui s'indigne du fait qu'il lui est difficile d'obtenir des permis de chasse alors que les émirs n'en ont pas besoin. Devant le mutisme des autorités locales, l'ancien commandant de l'ALN, Moulay Brahim, avait décidé en 2001 d'interpeller les walis de Naâma, d'El-Bayadh et de Tlemcen. “Ils m'ont dit que ces émirs, c'est le Président qui les a ramenés, tu ne peux pas les chasser”, nous a-t-il confié. Mais, au vu de la persistance du massacre de la faune saharienne, Moulay Brahim avait décidé d'interpeller le président Bouteflika en personne. La missive adressée à ce dernier était signée outre par lui, par d'autres anciens commandants de l'ALN, en l'occurrence Salah Enhari et Guezane El-Djillali. Les signataires demandaient, dans leur missive, une audience au Président dans les plus brefs délais pour “vous parler d'un problème d'importance nationale”, précisaient-ils. Mais Bouteflika n'avait pas répondu. “Si c'était une danseuse ou un courtisan, il l'aurait reçu expressément. Mais puisqu'on lui avait dit que c'est un problème d'importance nationale, il a refusé de nous recevoir”, a dit hier, sentencieux, Moulay Brahim. Lundi dernier, soit le jour de la visite de Bouteflika à El-Bayadh, Moulay Brahim a vu son domicile encerclé par des véhicules de police. “Ils m'ont encerclé de façon à m'empêcher de sortir.” Pourquoi ? “Ils ont eu peur que je provoque un soulèvement populaire à cause du massacre perpétré par les émirs contre notre faune.” Nadia Mellal Alors que le Président vient d'effectuer une tournée dans la région Les émirs chasseurs de retour à El-Bayadh Une première escouade d'émirs du Golfe a, à nouveau, débarqué la semaine dernière dans le Sud-Ouest algérien, dans la wilaya d'El-Biadh plus exactement, pour s'adonner à leur lubie favorite : chasser la gazelle et l'outarde algériennes, espèces théoriquement protégées par la loi algérienne. L'information a été rapportée par notre confrère El Khabar. Escortés par des éléments de la Gendarmerie nationale, ils sont arrivés dans la localité de Labiodh Sidi-Cheikh à bord d'une dizaine de véhicules et de camions immatriculés dans l'Arabie Saoudite et ce, en partance du Maroc pour élire domicile au sud de la commune de Chellala. Une partie des voitures 4X4 est stationnée à 30 km au nord de la région de Labiodh Sidi-Cheikh, dans l'attente de rejoindre Oued Namous où les émirs braconniers ont l'habitude de pratiquer leur sport de prédilection. Pour rappel, Liberté a consacré, dans son édition du 1er septembre, tout un dossier sur ce sujet, en attirant l'attention sur la volonté du président de la République de légaliser “la chasse touristique”. Un texte législatif allant dans ce sens a fait l'objet d'un examen lors du Conseil des ministres du 24 août. Et ce, au mépris de la loi, puisque le décret n°83-509 du 20 août 1983 protège les espèces animales non domestiques (outarde, gazelle, mouflon). Mériam Benkhlifa, vice-présidente de l'APW de Ghardaïa et membre du comité central du FLN, a soutenu dans un entretien inclus dans le même dossier que “ces chasseurs font un carnage”. Aussi, elle n'a pas manqué d'attirer l'attention de beaucoup de responsables, dont le ministre de l'Intérieur lors de sa visite dans cette wilaya, sur l'urgence de prendre les dispositions qui s'imposent pour prémunir ces espèces animales d'une extermination certaine. Son cri d'alarme ne semble pas avoir trouvé oreille attentive puisque, encore une fois, “les amis” du Président sont à pied d'œuvre. A. C.