Notre planète ressemble à un manuscrit. Il n'y a pas de grandes ni de petites langues. Toutes les langues sont grandes et toutes, sans exception, sont belles et séductrices ! Elles sont toutes grandes et belles, notamment, par leur littérature : roman et poésie. Mais dans ces langues, toutes ces langues, mercantiles ou philosophiques, on peut se retrouver face à une belle littérature comme face à une autre médiocre ou fade ! Par et avec ces langues on crée de beaux ou de mauvais textes ! Il y a de cela une vingtaine d'années, peut-être un peu plus, qu'importe, j'ai lu un livre magnifique qui m'a marqué en tant qu'écrivain. Composé en prose et intitulé Daghestan, mon pays, de Rasul Hamzatov (1923-2003), il est écrit dans une petite langue, une toute petite langue au bord de l'extinction ! Cette langue est nommée l'avar et est l'une des trente-six langues parlées dans cette petite république de l'ex-Union soviétique : le Daghestan. L'avar est parlé par moins d'un demi-million d'habitants. De par cette petite langue et par le génie littéraire de Rasul Hamzatov, le livre Daghestan, mon pays a voyagé à travers une trentaine de langues. C'est la littéralité qui fait la grandeur d'une langue ou d'une autre. Rasul Hamzatov, par son talent inégalé, a pu ressusciter la langue de sa mère. Mais pourquoi, chez nous, dans ce bled qui fait cinq fois la France et près de cent fois le Daghestan, la langue tamazight n'a pas pu, depuis le poète Si Muhand U M'hand (né vers 1845 et mort en 1906), enfanter un Hamzatov berbère ? Pourquoi n'a-t-on pas pu écrire un roman dans cette belle langue de Aït Menguellet équivalent à Daghestan, mon pays, de Rasul Hamzatov ? Je pense, et c'est mon avis personnel, que la production littérature tamazight, vu les persécutions, les interdits politiques et culturelles qu'a vécus cette langue, se trouve toujours dans une guerre qui ne dit pas son nom. Cette guerre se fait face aux deux langues hégémoniques, en Algérie et au Maghreb, que sont l'arabe ou le français. Ainsi, cette situation de vie et de mort a enfermé cette littérature des impasses artistiques et linguistiques : 1. “La folklorisation” : au nom de la “sauvegarde” du folklore et de l'oralité, la littérature tamazight s'est trouvée condamnée par les traditions orales répétitives et monotones. Cette préservation a donné un timbre de “lamentation” à cette littérature. 2. La répression politico-culturelle qu'a connue cette culture a fait de la littérature tamazight une littérature de “contestation”. Depuis Si Muhand U M'hand, cette littérature, dans sa globalité, est restée figée entre la “contestation” et la “lamentation”. Depuis le Printemps berbère, nous attendons la naissance d'un romancier ou d'un poète capable de faire sortir cette littérature de cette enclave. Depuis le printemps berbère, nous attendons une littérature tamazight libre de “la folklorisation” qui a longtemps pesé sur l'imagination littéraire dans cette langue. Je crois qu'il est demandé aux écrivains de cette langue de passer à une écriture qui dévoile la réalité dans toutes ses dimensions individuelles, sociales et psychologiques. Une littérature libre et libérée des labeurs des pleureuses. A. Z. [email protected]