Chawki Amari, Ali Bécheur, Y. B., Aziz Chouaki, Kamel Daoud, Wahiba Khiari, Rachid Mokhtari et Minna Sif exploitent le thème du scandale pour s'interroger sur la “bienpensance” du monde d'aujourd'hui. Qu'est-ce que le scandale ? Comment un fait anodin peut-il se transformer en un scandale qui ébranle un groupe social ? Pour quelles raisons l'anticonformisme de certains peut-il se révéler dérangeant ? Pourquoi est-ce que tous les humains doivent faire continuellement les mêmes gestes et mener la même existence pour être à l'abri… du scandale ? Qu'est-ce qui scandalise réellement ? Est-ce la différence de l'autre ou son courage à mener une vie différente, plus digne peut-être, et parfois même plus heureuse ? Pourquoi le massacre d'innocents laisse indifférent alors que le divorce d'une chanteuse ou l'infidélité d'un acteur de cinéma ébranle le monde ? Le thème du scandale est vaste, et il a inspiré huit auteurs maghrébins qui ont signé le recueil Scandale(s). “Le plus long petit-déjeuner du monde”, de Chawki Amari, est la nouvelle qui inaugure cet ouvrage. La fille unique de Rabéa et Fawzi Allou, Amel, tombe enceinte de son père, qui n'est pas vraiment son père, mais celui-ci l'ignore. La famille a peur du scandale, du qu'en-dira-t-on et de la censure sociale. Chacun des membres de cette famille éclatée est en proie à des questionnements, car “dans un scandale, le mot a plus de poids que l'acte qui l'a précédé”. La problématique du temps, constante chez Chawki Amari, est largement présente dans cette nouvelle, puisque l'auteur s'interroge si le temps pourra guérir les blessures de cette famille, et si le fait de remonter le temps pourrait changer quelque chose à cette situation chaotique. Dans “l'Absent”, Ali Bécheur revient sur les lieux de son enfance pour constater que le véritable scandale, c'est la misère, la famine, la guerre, la harga, la maladie, la colonisation. Avec une construction rythmée, où chaque phrase est un enchevêtrement d'idées, Ali Bécheur conteste le monde dans lequel nous vivons, car, selon lui, “le scandale, c'est tous les jours, matin, midi et soir, il suffit d'allumer la télé ou le transistor. Le voilà bien le scandale des scandales”. Y. B. propose dans “Roberto le Scandaleux”, avec beaucoup de cynisme et d'humour noir, les confessions d'un tueur en série qui se dit catholique, mais qui a tout de même assassiné ses parents, de sang-froid. Roberto Succo se prend pour un messie qui tue par nécessité ; qui tue parce qu'il croit que certaines personnes sont nées pour mourir de ses mains. Roberto est certes détraqué, mais il ne manque pas de lucidité. Il conteste l'ordre social, le monde dans lequel il est né, l'humanité dépourvue de toute compréhension. Roberto Succo accuse le monde et le récuse. Aziz Chouaki interroge dans “le Petit pois”, la fidélité et la confiance dans le couple, à travers l'histoire de Nadou et H'Sinou qui s'aimaient comme des fous, mais leur couple n'a pas résisté au scandale et à la rumeur. Une véritable tragédie ! Kamel Daoud écrit, dans “Dieu dans une bouteille !”, sur le rejet que subit un groupe d'individus dans un village engouffré dans l'inertie et très à cheval sur la tradition, la religion et les convenances. Ils sont surpris, durant le mois du Ramadhan, dans une grotte, avec une bouteille d'eau. Ils sont très vite accusés et inculpés. C'est un véritable scandale qui bouleversera leur vie. Dans sa nouvelle “Eve m'a écrit”, Wahiba Khiari s'interroge sur les limites de la création, mais aussi et surtout sur les bienfaits du scandale. Eve est un personnage de fiction qui prend le dessus sur son créateur et qui le conduit à sa perte. La sortie d'un roman coécrit avec cette Eve et sa mort soudaine créent un véritable scandale, et son roman est devenu, grâce à cette scandaleuse histoire, un best-seller. Rachid Mokhtari évoque, dans “Parcs”, le scandale dans la presse et cette notion de journalisme “utile et nécessaire”, à travers l'histoire d'un rédacteur en chef qui doit faire son travail, mais qui écrit une sorte de journal intime où il (se) révèle sa passion pour les parcs. Minna Sif raconte, dans “les Sœurs de la rédemption”, l'histoire de Selma qui découvre un autre monde, qui choisit son propre chemin envers et contre tous. Ces huit nouvelles sont des histoires qui s'apparentent à une archéologie du chaos, mais qui montrent avec lucidité et clairvoyance la fragilité de l'humanité. Scandale(s), de Chawki Amari, Ali Bécheur, Y. B., Aziz Chouaki, Kamel Daoud, Wahiba Khiari, Rachid Mokhtari et Minna Sif. Recueil. Nouvelles, 176 pages. Editions Chihab. Algérie, Octobre 2010, 350 DA.