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Mai 2010 : le Président perd ses hommes
Second remaniement après la présidentielle de 2009
Publié dans Liberté le 30 - 12 - 2010

Zerhouni dessaisi du portefeuille de l'Intérieur, Abdelhamid Temmar éloigné de la décision économique et Chakib Khelil purement et simplement débarqué. Ce fut sans doute l'un des faits politiques majeurs
de l'année 2010. Le régime de Bouteflika cède-t-il le pas ?
Ils ne sont pas du FLN, encore moins du RND ou du MSP. Mais l'Alliance présidentielle les avait adoptés. Si bien qu'ils furent systématiquement reconduits comme membres de l'Exécutif à chacun des nombreux remaniements ministériels opérés par le chef de l'état. Eux, ce sont Noureddine Yazid Zerhouni, Chakib Khelil et Abdelhamid Temmar. Leur qualité commune de “proches du président de la République” leur conférait un statut de super-ministre et il se racontait même qu'ils jouissaient d'une certaine autonomie vis-à-vis des chefs du gouvernement qui se sont succédé depuis 1999, qu'ils aient pour nom Benbitour, Benflis, Ouyahia ou encore Belkhadem. L'on disait aussi qu'ils ne rendaient compte à aucun de ces derniers mais directement au chef de l'état. Et que cela ne déplaisait pas au Président. Un de ces chefs du gouvernement aurait même, en son temps, demandé le limogeage de Yazid Zerhouni, et à maintes reprises, sans jamais l'obtenir. Ni sa gestion chaotique des évènements de Kabylie, en 2001 et 2002, notamment ses mémorables maladresses sur le plan de la communication, ni la fameuse affaire Saâdaoui, ni ses soucis de santé qu'il a eus à évoquer publiquement à l'Assemblée nationale, n'auront eu raison de la détermination de Bouteflika à maintenir à son poste un ministre de l'Intérieur qu'il avait, déjà en décembre 1999, nommé au forceps, contre vents et marées.
LE “GéNéRAL” DU PRéSIDENT
SANS PRéROGATIVES
Lui-même aurait demandé à partir, semble-t-il, à deux reprises au moins. à l'issue du premier mandat de Bouteflika, puis à la fin du second quinquennat. Sans résultat, toutefois. Et pour cause : soucieux de mettre en œuvre sa propre feuille de route et surtout de ne pas être un “trois quarts de président”, Bouteflika devait se donner les moyens d'exercer ses pleins pouvoirs.
Cela passait par la levée des contraintes qu'engendre le poids de l'Armée dans la vie politique. Il fallait donc jouer sur le terrain du DRS. Ancien n°2 des Services secrets, Zerhouni était à même de le faire. Il s'y était attelé, dix ans durant, en attribuant à la police, notamment aux RG, quelques “missions politiques”, jusqu'ici chasse gardée du DRS. Mais le directeur général de la Sûreté nationale, le défunt Ali Tounsi, contrecarrait ses desseins.
Le DGSN le signifiera clairement, en 2005, lorsqu'il annonçait que la police n'allait plus mener d'enquêtes d'habilitation sur les cadres, organisant pour la circonstance une cérémonie durant laquelle il mettra le feu à des documents et des fiches établis auparavant sur la vie privée de centaines de personnes.
Tout un symbole. Les relations entre les deux hommes vont finir par dégénérer, au point où leurs différends seront portés sur la place publique. Cela n'empêchait pas Zerhouni de rester un des hommes-clés du régime Bouteflika. Plus qu'un ministre en charge de la sécurité publique, il était l'homme le plus en vue du gouvernement, apparaissant quelquefois comme le porte-parole du président de la République, notamment lors des visites de ce dernier dans différentes régions du pays.
Après la mort de Ali Tounsi, assassiné le 25 février 2010 dans son bureau, une bataille allait s'engager pour sa succession, donc pour le contrôle de l'appareil de la police. Zerhouni jouera… et perdra. Il commencera par désigner Aziz Affani, comme DGSN intérimaire. Mais la campagne qu'il mènera ouvertement en faveur de sa nomination officielle va tourner au fiasco. C'est le général Hamel qui succédera au colonel Tounsi. C'était en juillet dernier et cela faisait deux mois que Zerhouni n'était plus ministre de l'Intérieur mais “juste “vice-Premier ministre”, un poste créé à la faveur de la révision constitutionnelle de 2008”. Sa dernière sortie médiatique en date fut éloquente. “En novembre 54, nous n'avions pas attendu qu'on nous dise nos prérogatives pour agir,” a-t-il lancé à la presse, sur un ton de défi, ajoutant qu'en sa qualité de vice-Premier ministre, il disposait du cabinet du Premier ministère. Mais auparavant, lors de sa première apparition dans ses habits de vice-Premier ministre, il s'était trahi : sur un ton de dépit cette fois-là, il s'était plaint de ne pas connaître ses nouvelles prérogatives. C'était déjà un signe : des prérogatives, peut-être n'en a-t-il plus, à présent.
KHELIL : à TROP FORCER SUR LA POMPE…
Chakib Khelil aura connu un itinéraire semblable à celui de Zerhouni. Après avoir régné sans partage sur le secteur des hydrocarbures, il se verra déposé, en ce fatidique mois de mai 2010, et remplacé par Youcef Youcefi, qui avait dirigé le secteur sous le règne de Liamine Zeroual. Allant jusqu'à cumuler les postes de ministre de l'énergie et de P-DG de Sonatrach, Khelil avait lui aussi résisté à bien des bourrasques.
Fort du soutien du chef de l'état, il avait notamment réussi à faire avaliser la fameuse loi sur les hydrocarbures, pourtant largement décriée. Aussi bien à l'UGTA qu'au sein de larges pans de l'opinion, et pour une bonne partie de la classe politique, y compris à l'intérieur du FLN, ladite loi n'était rien d'autre qu'une dénationalisation des hydrocarbures qui ne voulait pas dire son nom. La levée de boucliers sera suivie de très fortes pressions qui finiront par “convaincre” le chef de l'état de l'abroger purement et simplement.
Ce fut, à l'évidence, contre l'avis de Chakib Khelil. Ce fut même un désaveu de la stratégie énergétique qu'il disait mettre en place. Mais il gardera son fauteuil. Les critiques qu'il avait essuyées quant à l'exploitation effrénée du gaz naturel, souvent fondées puisqu'émanant, pour certaines, d'experts des questions énergétiques, et bien qu'énoncées quelquefois sur un ton alarmant, ne l'amèneront pas à s'amender et ne lui vaudront aucune interpellation publique du chef de l'état. Dans les milieux initiés, l'on murmurait déjà que les fonds de Sonatrach étaient pompés sans ménagement, au même titre que le gaz algérien, au profit d'intérêts occultes. Le Forum du gaz (GNL-16), organisé à Oran au printemps 2009, aura été un flop… trop coûteux pour Sonatrach. Mais rien n'y fit : Chakib Khelil va demeurer en poste. Certes, on avait auparavant consenti à mettre fin, formellement, au cumul des deux fonctions par Khelil. Formellement, car on prendra toutefois le soin de choisir un profil qui ne remettrait pas en cause la mainmise du ministre sur Sonatrach.
Certaines indiscrétions faisaient état de sérieux ennuis de santé chez le P-DG nouvellement nommé, allant jusqu'à lui dénier la capacité de gérer une société de l'envergure de la compagnie nationale des hydrocarbures. Une chose est sûre : il aura été d'une discrétion à couper le souffle… jusqu'à l'éclatement du scandale Sonatrach qui lui vaudra, ainsi qu'à d'autres cadres du secteur, et à ses deux fils, la mise sous contrôle judiciaire pour leur implication supposée dans des dossiers de corruption. La corruption. Sur ce sujet, Abdelhamid Temmar, le troisième “homme-fort- déchu”, s'était prononcé une dernière fois dans la presse, en tant que ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements, quelques semaines avant de se voir déboulonner de son fauteuil et affecté à un département nouvellement créé, celui des Statistiques et de la Prospective.
TEMMAR : LA CORRUPTION A UNE DOCTRINE
“La corruption est inévitable”, disait-il dans un entretien à Liberté, comme pour plaider “non coupable”, aussi bien pour lui-même que pour le compte d'autres ministres.
Rien à dire, les affaires de corruption et les dossiers scabreux ont joué en faveur du renvoi des deux ministres, du moins pour Khelil. Mais en plus, Temmar va convoquer toute une doctrine économique pour dédouaner l'action de Chakib Khelil dans le secteur de l'énergie. “Le problème de Sonatrach est très particulier. Les procédures de cette société ne sont pas comme les nôtres. Il s'agit d'un secteur pétrolier qui obéit à des normes internationales et les applique”, ajoutait-il en guise d'explication.
En d'autres termes, Chakib Khelil avait agi selon des règles établies ailleurs, là où les intérêts de l'Algérie ne constituent pas forcément un critère à prendre en compte. Cela suffit à décliner la “philosophie économique” chère aux deux hommes : il n'y a pas une économie algérienne, il y a une économie mondiale et nos ressources en font partie. C'est sans doute dans cette approche doctrinale et dans les larges marges de manœuvre qu'elle peut leur procurer que réside le secret du limogeage de ces deux “hommes du Président” en mai 2010. D'autant que le protectionnisme économique était déjà de mise depuis la loi de finances complémentaire de 2009.
C'est d'ailleurs dès mars 2009, avant même la présidentielle, que Temmar était désavoué publiquement pour la première fois. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, déclarait sur les ondes de la
radio que la stratégie industrielle
“a fait beaucoup plus l'objet de
communication que d'actions” et
qu'elle n'a “jamais été adoptée en Conseil des ministres”. C'est le second échec de Temmar après celui des privatisations. Mais le ministre de l'industrie bénéficiera encore d'un sursis puisqu'il sera encore reconduit, à l'image de la quasi-totalité du gouvernement Ouyahia, après la réélection de Bouteflika en avril 2009.
Ce n'était que partie remise : le protectionnisme érigé désormais en règle, s'il est officiellement justifié par des objectifs économiques, ne s'inscrit pas moins dans le cadre des luttes au sommet dont l'enjeu est le contrôle de la rente et son usage comme instrument politique : la rente permet à celui qui tient les leviers de la décision économique de se donner des soutiens intérieurs et extérieurs.
Quand des ministres s'érigent publiquement en idéologues de la corruption pour justifier doctement des malversations financières, alors oui, “la corruption est inévitable”. Mais lorsqu'ils en viennent à le faire dans une atmosphère marquée
par des luttes au sommet dont la férocité se révèle capable de destituer un Zerhouni, le dégommage d'un Khelil ou la mise sur la touche d'un Temmar sont tout aussi inévitables.


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