Nouredine Naït Mazi est l'un des derniers mythes vivant de la presse. Mythe d'abord par sa conduite. Déjà quand il était militant nationaliste dans les années cinquante, le jeune homme faisait merveille : discipline, esprit de synthèse, clair dans ses idées et ses propos. Il étonnait ses aînés par sa foi en la Révolution algérienne. Il était habité par la foi comme d'autres le sont par la passion de l'argent, du jeu ou des femmes. Et cette foi donnait à son physique à la Rock Hudson une sorte d'austérité qui en imposait. Ah ! On allait l'oublier : Naït Mazi a un physique atypique dans la presse : très grand, très beau, élégant alors que la norme dans notre corporation est le style débraillé, la barbe de trois jours et les yeux pochés. Il a dû faire battre bien des cœurs. Mais lui son cœur ne bat que pour l'Algérie. À l'indépendance, le voilà rédacteur du journal le Peuple qui venait d'être créé par le FLN. Une année plus tard, il en devient un des rédacteurs en chef. Pourquoi a-t-il choisi cette voie de troubadour alors que l'Algérie était encore ouverte prête à s'offrir à celui qui voulait mordre, sans beaucoup d'égards pour elle, dans sa belle croupe ? Cette question l'aurait fait sourire, car toute sa vie il a combattu les opportunistes aux canines de vampires. S'il a choisi le journalisme c'est pour la bonne cause : “Un seul motif a guidé mon choix : la volonté de continuer à servir mon pays au mieux de mes compétences et il m'a semblé que l'information m'offrait la possibilité d'œuvrer le plus utilement à la défense et à la promotion de ses causes.” Tout est dit. Durant toute sa carrière, il servira la cause de l'Algérie indépendante, celle qui faisait d'Alger “La Mecque des révolutionnaires.” El Moudjahid qu'il dirigeait était un journal qui comptait, car il était la voix de l'Algérie. Mais pas des Algériens, hélas, même si sa devise était “Pour le peuple et par le peuple”. En dépit de son talent, de son cœur et de son intelligence, Nourredine Naït Mazi n'avait aucune marge de manœuvre. Il était patron dans un pays où il n'y avait qu'un seul patron, le président lui-même. Exécutant donc, oui, mais avec beaucoup de savoir-faire et de professionnalisme. Un autre que lui aurait sans doute fait d'El Moudjahid une feuille de choux, lui en a fait un formidable outil de propagande pour le régime. Il a su fédérer les multiples talents contradictoires pour en tirer le meilleur de chacun. À l'heure du parti unique, il aurait pu avoir la main lourde en liquidant toutes les tendances contraires à celle du parti. Il aurait pu le faire pour plaire à quelques caciques. Il ne le fera pas. La délation n'est pas son style. La danse du ventre non plus. Engagé dans la bataille de construction du pays, il sera marqué par le rôle grandissant qu'occupera l'Algérie dans le concert des nations. Et il n'est pas peu fier d'avoir apporté sa pierre à cet édifice. Après son départ, les journalistes qui l'ont côtoyé garderont la fierté d'avoir été à son école : école de la rigueur et de l'honnêteté. Mais aussi de la justice, mais aussi d'une certaine idée du patron de presse : celui qui ne s'enrichit pas au détriment des journalistes, celui qui ne roule pas carrosse en toisant les plumes besogneuses. Il a commencé sa carrière avec un stylo pour toute richesse, au moment du départ il aura la même richesse matérielle. Mais quelle formidable aventure intellectuelle et humaine ! Grand lecteur de Montaigne, il a pour devise un mot de Voltaire qu'on pourrait mettre aisément dans la bouche de Montaigne : “Le seul moyen d'obliger les hommes à dire du bien de nous, c'est d'en faire.” Belle profession de foi qu'on pourrait mettre dans les actes et la conduite de Monsieur Nouredine Naït Mazi. H. G. [email protected]