En ce moment, les forces de l'opposition se replient vers leur bastion de Benghazi, cédant du terrain sous les coups de boutoir des armées et autres mercenaires au service du colonel. Ce dernier a pris le temps d'adapter sa stratégie de combat aux circonstances, rendant les raids aériens de l'Otan inopérants, voire dangereux pour les populations civiles et les insurgés, comme en témoignent les deux bavures signalées ces derniers jours. Aussi, au Pentagone ne s'est-on pas gêné de pronostiquer qu'une victoire de l'opposition, c'est-à-dire la chute de Tripoli, est fortement improbable. Le secrétaire général de l'Otan, lui, a été plus catégorique : il n'y a pas de solution militaire à la crise libyenne. Les insurgés, pour leur part, pointent du doigt le commandement de l'Otan dont ils jugent les raids contre l'ennemi trop rares et inefficaces, et ne comprennent pas que les pays coalisés refusent de leur livrer de l'armement lourd, indispensable pour prétendre faire chuter Kadhafi. La raison des réticences des pays occidentaux à armer l'insurrection est pourtant évidente : on la suspecte sinon d'avoir des accointances avec l'islamisme radical et Al Qaïda, du moins d'être fortement infiltrée par ce courant et cette organisation. L'heure serait donc à la diplomatie tous azimuts pour tenter d'éviter l'enlisement. L'Union africaine est en première ligne pour organiser une hypothétique négociation pour une non moins hypothétique transition. C'est du pain béni pour Kadhafi et son clan, car s'il accepte de négocier, il va de soi que ses succès militaires sur le terrain et les aveux d'impuissance de l'Otan constitueront un atout majeur pour lui. Comme on est loin de l'euphorie politico-médiatique qui voulait, il y a de nombreuses semaines déjà, que les jours du dictateur soient comptés ! Plus loin, en Afrique de l'Ouest, un scénario similaire se met en place en Côte d'Ivoire où le président sortant, battu à l'élection présidentielle, s'accroche au pouvoir depuis quatre mois. La mégapole Abidjan, mais aussi plusieurs contrées du pays sont à feu et à sang. Des combats meurtriers entre les forces de Gbagbo et l'armée levée par Ouattara et son Premier ministre Guillaume Soro font rage. Des massacres contre les civils sont perpétrés et ne livrent pas encore leurs macabres secrets. Une crise humanitaire majeure gagne tout le pays et, malgré l'implication de l'Onuci et de la force française Licorne auprès de l'armée dite républicaine du président élu, Laurent Gbagbo résiste. D'ailleurs, il fait mieux que résister, alors qu'on le disait “bunkerisé” dans sa résidence présidentielle, réduit à l'impuissance et n'ayant d'autre alternative que de se rendre. Non seulement les forces qui lui sont restées fidèles ont réussi à desserrer l'étau autour de la résidence de leur chef, mais elles ont regagné du terrain, ont repris le contrôle de la radiotélévision ivoirienne et ont même attaqué, samedi après-midi, l'hôtel servant de quartier général à Alassane Ouattara et son gouvernement, dûment protégé par les Casques bleus de l'ONU. En Libye comme en Côte d'Ivoire, le mandat des forces internationales agissant sous l'égide de l'ONU est en cause. La résolution 1973 en Libye et la résolution 1975 en Côte d'Ivoire donnent mandat aux forces internationales engagées de protéger les populations civiles. Par tous les moyens nécessaires, est-il précisé. On s'évertue donc à détruire l'armement lourd de Kadhafi et de Gbagbo, censé servir contre des civils, mais on se refuse, officiellement, à aller plus avant. En fait, l'aviation de l'Otan en Libye, de même que l'Onuci et Licorne en Côte d'Ivoire, ont vocation à détruire des armes tout en veillant à préserver ceux qui s'en servent ou donnent l'ordre de s'en servir. Il y a là, à la fois, une grande incohérence et une superbe hypocrisie. “C'est comme si, voulant faire tomber la fièvre de son patient, un médecin cassait le thermomètre”, ironisera à ce propos une diplomate ivoirienne proche d'Alassane Ouattara.