La révolution saoudienne sera-t-elle celle des femmes au volant ? C'est la question que se posent les commentateurs sur la propagation du printemps arabe dans le royaume des émirs et des pétrodollars. Elles ont osé ! Des Saoudiennes ont conduit ce vendredi au volant de leur voiture. Elles ont timidement répondu à l'appel lancé par des féministes pour défier l'interdiction pour les femmes de conduire, prenant le volant dans des villes du royaume, sans incident majeur. La campagne “Women2drive”, lancée depuis deux mois sur les réseaux sociaux, doit se poursuivre jusqu'à la publication d'un décret royal autorisant les femmes à conduire, selon les organisatrices. Aucune loi n'interdit aux femmes de conduire en Arabie Saoudite, mais les autorités se fondent sur la batterie de fetwas wahhabites qui excluent les femmes de l'espace public. Les femmes sont obligées de sortir complètement voilées et ne peuvent voyager sans autorisation de leur mari ou d'un tuteur, ni manger seules au restaurant. Les Saoudiens se croyaient épargnés par les mouvements de contestation du printemps arabe, voilà qui contredit leur assurance. En réalité, le roi Abdallah est lui-même conscient que ça bouge aussi dans son royaume, au point qu'il met sa main dans la poche depuis le début du printemps arabe, pour essayer de conjurer sa contamination. Pour nombre de ses homologues de la scène arabe, il a desserré les cordons de la bourse de son pays pour maintenir la paix sociale et étouffer les contestations. L'Arabie Saoudite a dépensé 130 milliards de dollars sans engager de réformes politiques alors que des changements secouent les Etats voisins. Et puis, les aides publiques, les augmentations de salaires et le projet de 500 000 logements, bien que bénéfiques pour les fonctionnaires et les faibles revenus, ne profiteront pas à tous dans un pays où le taux de chômage atteindrait les 20% chez les actifs. Parmi les bénéficiaires de la manne royale, les plus satisfaits sont les organisations religieuses qui s'opposent à des changements démocratiques. Le roi leur a alloué 200 millions de dollars. Un héraut de ces organisations wahhabites, Mohamed Al-Areefy, un jeune prédicateur populaire, avait pris son bâton contre les femmes au volant, dans un sermon enflammé où il a fustigé ceux qui réclament la démocratie : “Ils ne se soucient gère de la sécurité du pays, tout ce qu'ils veulent, c'est le mélange des genres. Ils veulent que les filles conduisent des voitures, ils veulent aller regarder les filles en maillot de bain sur les plages.” Un discours caricatural de l'esprit et de la lettre du wahhabisme. Les autorités saoudiennes (comme de nombreux responsables dans d'autres pays arabes) ne comprennent pas que ce qui se passe actuellement devant leurs yeux et ne veulent pas tirer de leçons… Ils veulent préserver leur pouvoir, leur argent (selon le New York Times, les revenus du pouvoir saoudien ont augmenté de 214 milliards de dollars pour la seule année 2010), leur statu quo. Le verdict est d'un frère du roi Abdallah, le prince Talal, surnommé “Le Prince Rouge” dans les années 1960. Il reste qu'en dépit du poids des religieux, l'aspiration démocratique semble exister en Arabie Saoudite, ou du moins des envies de changer. La liste de leurs aspirations est longue : liberté d'expression, liberté de circulation, droits sociaux, droits politiques, réforme constitutionnelle, libération des prisonniers politiques, lutte contre la corruption, redistribution des richesses… Les raisons de manifester contre la famille régnante ne manquent pas. Certes l'appel de la mobilisation du 11 mars n'a pas réussi mais le mouvement est amorcé. Les petits groupes de personnes qui se rassemblent ponctuellement, les uns devant le ministère du Travail pour réclamer des emplois (30% des jeunes entre 20 et 30 ans sont chômeurs, surdiplômés pour 87% d'entre eux), les autres, devant le ministère de l'Intérieur pour demander la libération des prisonniers politiques, la grogne récurrente de la minorité chiite (10% des 28 millions d'habitants), et les femmes au volant de ce vendredi, sont significatifs d'une société qui bouge. Et puis Riyad ne peut être indéfiniment le pompier dans la région, comme il est intervenu à Bahreïn pour essayer de tuer dans l'œuf le printemps arabe qui était parti pour réussir. Chez son voisin yéménite, la situation est chaotique…