Contre toute attente, le mouvement du 20-Février qui cristallisait jusque-là le mécontentement au Maroc a renoncé, hier, à la manifestation pacifique à laquelle il avait pourtant appelé la veille pour dénoncer le “plébiscite” et la très large victoire du “oui” au référendum sur la nouvelle Constitution. à Casablanca, la place attenante à la wilaya, lieu habituel du rassemblement des animateurs du mouvement du 20-Février, était hier déserte. Les raisons de ce revirement ? Un “clash” entre deux projets de société qui s'opposent frontalement. En effet, au moment où l'on s'y attendait le moins, voilà que les islamistes (qu'on avait un peu oubliés) sont montés hier à leur tour au créneau pour appeler à un grand rassemblement dans le quartier populaire de Sbata. Pour s'en démarquer, le mouvement du 20-Février, qui n'a pas cessé de battre le pavé depuis quatre mois, semble avoir pris hier une journée de repos (bien méritée) afin de mieux affûter ses armes dans la perspective d'une poursuite des protestations contre le régime. En ligne de mire pour certains, une monarchie parlementaire à l'espagnole. Pour d'autres, (et la question ne se pose même pas dans un monde musulman en pleine ébullition), c'est bien sûr la fameuse “dawla islamiya”, une idée qu'on a voulu vendre sous d'autres cieux parfois pas si lointains. Si le souverain conserve en vertu de la nouvelle Constitution son statut de Commandeur des croyants, qui fait de lui la seule autorité religieuse au Maroc, les islamistes eux ne sont jamais très loin. L'islamisme rampant dans la société marocaine n'est pas une vue de l'esprit. On rencontre, ainsi, souvent au Maroc, de jeunes vendeurs ambulants de cassettes “islamiques” qui diffusent à tue-tête des psalmodies du Coran. De quoi jeter sur les passants une bonne dose de culpabilité. Une réalité de la rue marocaine visible et surtout bien audible. Enfin, tous les connaisseurs du Maroc s'accordent à dire que le hidjab, aujourd'hui, est assurément à la mode. Et si comparaison n'est jamais raison : on peut dire que l'Algérie, sur ce chapitre, a plusieurs années d'avance tant l'instrumentalisation de la religion a été expérimentée en long, en large et même en travers. Aussi, les Algériens (et surtout les Algériennes) peuvent révéler à leurs frères et amis marocains que cette perspective n'a rien d'exceptionnellement “réjouissant”. Passons ! Joint par téléphone par nos soins, Abdellah Benkirane du Parti islamiste justice et développement (PJD), qui avait soutenu le “oui” au référendum, a estimé qu'une nouvelle page était tournée pour le Maroc. Il redoute, néanmoins, la persistance de certaines pratiques. “Nous avons traversé une crise. Il s'agit pour les pouvoirs publics de démontrer à présent leur bonne volonté car la Constitution adoptée est en elle-même évidemment très bonne”, nous a-t-il déclaré tout de même assez dubitatif. Pour le leader du parti islamiste représenté au Parlement, les lois organiques subséquentes à la loi fondamentale ne peuvent être que des “détails” devant l'attitude que va adopter le Makhzen. Tout dépend, selon lui, des dispositions de “l'état” à vouloir passer à autre chose. Beaucoup sont en effet très réservés ici sur les intentions démocratiques du régime. Mohamed-Chérif Lachichi Correspondance particulière de Rabat