Faux passeports, chaos à l'aéroport de Tunis, changement au dernier moment. Ali Seriati, général et ex-chef de la sécurité de Ben Ali, a livré sa version de la fuite du président tunisien et de sa compagne vers l'Arabie Saoudite. Par sa fonction, c'était l'homme-clé du régime de Ben Ali. Poursuivi pour tentative de sortie illégale de devises et falsification de passeport, Seriati comparaissait mardi devant le tribunal de Tunis avec 23 autres prévenus, des membres de la famille du couple présidentielle. Tous ont été arrêtés le 14 janvier à l'aéroport de Tunis-Carthage alors qu'ils tentaient de fuir le pays en possession de sommes d'argent importantes et de bijoux. Seriati, lui, a été interpellé à l'aéroport militaire de l'Aouina, mitoyen de l'aérogare civil, après que l'avion de Ben Ali et quatre membres de sa famille eut décollé vers l'Arabie Saoudite. La Tunisie est alors plongée dans la révolte et les manifestations se succèdent dans le pays. “Vers 13h, le 14 janvier, le président m'a demandé de préparer son avion”, raconte Seriati dans la salle d'audience bondée de journalistes et d'avocats. Le chef de la sécurité présidentielle, un corps particulièrement redouté par les Tunisiens durant le règne des Ben Ali, s'exécute. Auparavant, le président lui a demandé de remplir des passeports rouges diplomatiques pour sa famille restreinte. De faux passeports dans le chef d'accusation. Ben Ali n'a pas cessé de clamer depuis son exil doré qu'il n'avait pas l'intention d'abandonner son pays, qu'il voulait mettre à l'abri sa femme et leurs enfants et quant à lui, rester en Tunisie pour assurer “la sécurité du pays” ! Le général qui a fait embarquer le couple et deux de leurs enfants, a confirmé du bout des lèvres cette fameuse thèse, arguant que sur le tarmac, Ben Ali s'était laissé attendrir à la fin par ses enfants, notamment le petit Mohamed, âgé de six ans, et qu'il a embarqué avec eux dans l'avion. Un témoignage bien auparavant avait laissé entendre que Ben Ali aurait été poussé dans l'avion par son épouse avec des mots pas du tout tendre. L'appareil présidentiel décolle en fin d'après-midi de l'aéroport militaire de l'Aouina et atterrit quelques heures plus tard en Arabie Saoudite. “C'est ça, Ben Ali voulait aller faire le pèlerinage de La Mecque !” interrompt alors un spectateur exaspéré. Mais pourquoi alors l'avion est-il parti de l'aéroport militaire ? Seriati dit qu'il voulait faire partir l'avion de l'aéroport de Tunis-Carthage. “J'ai appelé le plus haut gradé de l'aéroport, Zouhair Bayati, et ce n'était pas sa voix”, a-t-il déclaré. “J'ai alors compris que l'aéroport civil avait changé de mains.” Les militaires avaient pris en main la situation juste après le retour des Etats-Unis de leur chef d'état-major. Seriati, apparemment, n'avait pas été mis dans le secret, sa hiérarchie estimant probablement sa proximité des Ben Ali plus forte que son esprit de corps. En outre, Marouane Mabrouk, un autre gendre de Ben Ali, l'appelle pour l'informer que sa femme et d'autres membres du clan ont été arrêtés par des unités antiterroristes à l'aéroport civil. Le général Seriati a donc changé les plans et fait partir la famille restreinte de Ben Ali depuis l'Aouina. Là aussi, il ne faut pas se méprendre, l'armée a laissé faire et a voulu que le couple parte de son aéroport plus sécurisé. Et il est difficile de ne pas croire que l'armée ait négocié sa destination. Des zones d'ombre entourent encore la fuite de Ben Ali, malgré le témoignage de l'ex-général. Seriati n'a pas tout dit de son rôle. Des incrédules le soupçonnent encore d'avoir poussé l'ex-président à s'enfuir, dans l'espoir de prendre ensuite le contrôle du pays ! Avant le témoignage de Seriati, les autres prévenus, tous membres du couple Ben Ali-Trabelsi et tous incarcérés, devaient défiler à la barre. Quatorze hommes, arrivés menottés, et neuf femmes, dissimulées sous des tchadors blancs, ont contesté les accusations de tentative de fuite et détention illégale de devises. “Vous avez tenté de fuir le pays à 15h, le 14 janvier 2011, en possession de devises et de bijoux”, leur a lancé le président du tribunal Faouzi Jbali. Parmi les prévenus figuraient deux sœurs de Leïla Trabelsi, surnommé du temps de son lustre, la “régente de Tunis” et surtout Imed, son neveu préféré, déjà condamné en juin dernier à quatre ans de prison pour consommation de stupéfiants. L'audience a été suspendue jusqu'au 2 août.