À la veille du 15 août, la ville de Biskra aura revêtu la quasi-totalité des aspects ramadhanesques qui la distinguent des autres villes du pays. Entre un été particulièrement chaud et les tracas quotidiens de la vie moderne, liés notamment aux problèmes de distribution d'électricité et d'approvisionnement en eau potable, Biskra peine toujours à retrouver sa véritable vocation de Reine des Ziban. Aux toutes premières lueurs du jour, il émane de cette ville une atmosphère de quiétude et de tranquillité comme nul part ailleurs, tout comme pourrait l'être le réveil d'une grande Reine particulièrement bien nantie tant par son histoire que par sa géographie. Mais au fur et à mesure que les commerçants ouvrent leurs magasins et boutiques et que le principal marché couvert entame les rituels de sa réanimation matinale, que revoilà le centre-ville vibrer à nouveau, tout comme à la veille et à tous les précédents matins du mois de Ramadhan, au rythme d'un vacarme assourdissant, mêlant à la fois piétons grouillant dans tous les sens, automobilistes impatients en train de se frayer un impossible chemin à travers la foule et de bien effrayantes mobylettes et bicyclettes dont on ne devine jamais à temps d'où elles sortent ni où elles disparaissent sans risquer à tout moment de se faire bousculer ou renverser. Car Biskra est sans doute l'un des plus importants chefs-lieux de wilaya du pays où il n'est pas rare de voir encore, notamment dans les marchés, des engins à deux roues munis d'un porte-bagages en forme de caisse en plastique, ou rattachés à une petite remorque, et ainsi faire partie intégrante des us et coutumes de transport et de locomotion utilitaires de la région. Cependant, en ce mois de Ramadhan de l'année lunaire 1432, coïncidant jour pour jour avec le mois d'août de l'année solaire 2011 et ses inévitables pics de chaleur frôlant parfois les 50°C et dépassant souvent les 40°C la nuit, la mémoire collective retiendra pour longtemps que Biskra et ses environs auront été le théâtre d'un nombre impressionnant de troubles et de manifestations pour cause de pannes et de coupures d'électricité, très fréquentes de jour comme de nuit. Ce qui, déjà, n'a pas manqué de produire ses propres anecdotes et insolites situations comme, par exemple, celle de voir des fidèles, surpris en pleine prière par l'obscurité dans une mosquée, se servir collectivement de leurs téléphones portables en guise de lampes d'éclairage ! Ou d'entendre les gens ironiser sur Sonelgaz, dont certains responsables justifient l'insuffisance du réseau de distribution d'électricité par la rareté de terrains ou d'endroits d'emplacement des postes transformateurs, en rapportant que, malgré le générosité d'un citoyen de l'historique quartier Zgag Benramdhane, qui leur a concédé bénévolement un terrain propice pour ce faire, plus de deux ans après, non seulement aucun poste n'a vu le jour mais aussi la situation "électrique" de certains quartiers du centre même de Biskra ira de mal en pis. Mais le plus désolant est de voir ces groupes de jeunes Biskris, ne sachant comment affronter à la fois les vagues de grandes chaleurs, les multiples épreuves du jeûne ainsi les effets de toutes sortes de frustration dues à la pauvreté et à l'oisiveté, errer indéfiniment à travers les allées boisées de l'unique jardin public du centre-ville, Djnane El-Beylik, en commentant à tue-tête, si ce n'est en se chamaillant vulgairement, les derniers évènements survenus au quartier d'El-Aâlia notamment, en rapportant quasi fièrement que les manifestants de "l'électricité" avaient réussi à y bloquer la circulation des heures durant. L'un d'eux allant même jusqu'à affirmer que depuis que les habitants de son quartier sont sortis dans la rue, ils n'ont plus connu de problème d'électricité pendant au moins dix mois ! En vérité, pour ces jeunes, livrés à eux-mêmes et portant aux visages les stigmates d'une grande souffrance morale, ces “émeutes de l'électricité” ne sont qu'un catalyseur à la mode pour leur permettre d'exprimer un tant soit peu hardiment plus un sursaut de survie qu'un mécontentement mûrement réfléchi. Car, à la limite, les problèmes liés aux pannes d'électricité sont le dernier de leurs soucis, en ce sens qu'ils ne possèdent rien dont la perte puisse leur causer quoi que ce soit en mal ou en bien. Par contre, ces échos d'émeutes permettent à ces jeunes de légitimer leurs aspirations en dénonçant haut et fort le laxisme et la complaisance de certains responsables locaux qui considèrent parfois leur mission comme totalement accomplie dès lors qu'ils aient seulement entamé l'application des directives du président de la République portant sur le fameux projet de construction de cent locaux commerciaux destinés aux jeunes dans chaque commune du pays. Ce qui est justement le cas d'un exemple flagrant au quartier d'El-Aâlia où, dans ce cadre, les gros travaux d'un bâtiment de deux étages, englobant 84 locaux, ont été entièrement achevés et même que ces derniers ont été dûment attribués, comme en témoigne une jeune bénéficiaire exhibant ses documents d'attribution et de location en guise de preuve, mais dont il s'avère que son local n'aura été doté au préalable ni d'électricité ni des autres commodités indispensables à tout centre commercial ou d'activité artisanale et, pour le comble, ni même de marches ou d'escaliers d'accès à l'imprenable entrée principale ! Aussi, une certaine propension au vandalisme aidant et sévissant impunément depuis plus de deux ans, ces locaux se trouvent aujourd'hui dans un état de délabrement tel que, si les pouvoirs publics concernés ne réagissaient à temps, au moins 84 jeunes verraient ainsi tous leurs espoirs et projets voler en éclats et, peut-être aussi, à travers eux, c'est autant de candidats potentiels pour gonfler fatalement les rangs des émeutiers, des harraga ou des délinquants. Le centre-ville de Biskra, quant à lui, n'a vraiment pas besoin que ses habitants s'insurgent ou se barricadent pour exprimer leur ras-le-bol d'une gestion publique de la cité des plus contestables, d'abord, parce que la proximité immédiate de l'imposant commissariat central de police rendrait la chose quasi inimaginable, ensuite les automobilistes venant de partout se chargent quotidiennement de la besogne en créant des embouteillages monstres y compris dans les ruelles, jadis uniquement conçues pour les charrettes, jusqu'à les rendre impraticables même pour les piétons. Biskra regorge aussi de bien d'autres curiosités qui font aussi bien sa réputation de ville attrayante et hospitalière que de passage obligé entre le nord et le sud-est du pays, menant notamment vers les wilaya d'Illizi, El-Oued, Ouargla et Ghardaïa où, néanmoins, si on n'y prend garde, tous les coups sont permis. Paradoxalement, alors que certains magasins du centre-ville, comme ceux de l'électroménager, baissent les rideaux vers 14 heures pour ne rouvrir qu'au lendemain matin, le marché couvert et ses commerces annexes de proximité commencent à se vider dès l'approche de la prière du dohr, mais pour laisser progressivement place, au fur et à mesure que la température grimpe et que l'heure du f'tour approche, à un quartier fantôme où sont abandonnés d'indescriptibles amoncellements de poubelles, de cartons et d'emballages de toutes sortes, au point de douter que c'est là l'œuvre d'activités humaines et de croire que c'est plutôt un ouragan fusant tout droit d'une décharge publique qui est passé par là. À tout le moins pour cette période d'été et de Ramadhan, on découvre que la ville de Biskra n'est finalement conçue que pour abriter ses propres habitants et qu'en dépit de sa réputation de “porte orientale” du Sahara, elle compte très peu de visiteurs, d'étrangers ou de passagers. La preuve en est qu'à l'heure du f'tour, à l'exception de deux restaurants d' “iftar Ramadhan” ou de la “rahma”, se situant l'un à deux pas de Djnane El-Beylik et l'autre à un peu plus de la gare routière dite Sntv, et distants l'un de l'autre d'à peine 10 minutes de marche, devant lesquels une bien timide animation se crée juste le temps d'un f'tour sifflé rapidement et discrètement, le manque d'éclairage et l'exigüité de ses ruelles aidant, le centre de la vieille ville, et notamment la place de son marché, n'est rien d'autre qu'un no man's land jusqu'au lever du jour.