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La Libye de l'après-Kadhafi
Entre les dangers des luttes fratricides et le partage du gâteau
Publié dans Liberté le 22 - 10 - 2011

En Libye, l'heure est maintenant à l'après-Kadhafi. À quoi ressemblera la Libye post-Kadhafi, sans institutions ni élections depuis 42 ans ? Comment se passera la période de transition ? Il est trop tôt pour le dire.
Le Conseil national de transition, créé le 27 février 2011 et reconnu par le monde, à l'exception de Cuba, du Venezuela, du Nicaragua, de la Syrie ou encore de la Corée du Nord, sera vraisemblablement l'autorité chargée de mettre en place les futures institutions avant d'organiser les élections pour la création d'une Assemblée nationale.
La tâche ne sera pas de tout repos, l'ex-dictateur ayant fondé son pouvoir sur l'absence de l'état, c'est vraiment la spécificité de ce pays. Le 3 août dernier, le CNT a adopté une Déclaration constitutionnelle où il est précisé qu'après la libération du pays, qui ne sera décrétée qu'une fois Kadhafi hors course, le Conseil national transitoire, siégeant à Tripoli, formera un gouvernement transitoire au cours d'une période ne dépassant pas trente jours.
Sa mission est claire sur le papier : créer un Congrès national général et nommer les membres d'une Commission nationale suprême pour les élections. Il faudrait que le CNT surmonte ses divisions, dont le point d'orgue a été l'assassinat du chef militaire Abdel Fatah Younès, ex-général dans l'armée de Kadhafi, fin juillet. Le numéro un du CNT, lui aussi, transfuge du régime de Kadhafi et pas des moindres, Moustapha Abdeljalil, qui était ministre de la Justice, jure que les divergences au sein de la rébellion ont été aplanies. À voir, avec la victoire définitive sur l'ancien régime qui ouvre la porte à tous les appétits. Et puis, il faut se demander si les puissances qui ont aidé la rébellion à se débarrasser de Kadhafi ne seront pas tentées par des interventions pour encourager des rapports de force en leur faveur ? La question est d'autant plus ouverte qu'on a vu la bataille de chiffonniers entre Washington, Londres, Paris, Rome et Berlin à la fin de l'été lors de la conférence internationale organisée par le président français pour, justement, partager le gâteau libyen.
Le CNT pourra-t-il rassembler les fameuses divisions tribales du pays ? De nombreux politologues en doutent, prévoyant plutôt des complications avec la montée de responsables régionaux, locaux et tribaux, les appétits de ralliés de la dernière minute et les opposants en exil assez peu médiatisés pendant l'insurrection. Le danger de purges au sein des responsables et simples employés du régime de Kadhafi, comme en Irak, n'est pas une simple vue de l'esprit. Et si le CNT se met à purger, la Libye va avoir du mal à se construire. Pour ce qui est de la future Libye, sera-t-elle une démocratie ou un état se référant à l'islam comme l'a martelé à plusieurs reprises Moustapha Abdeljalil ? Personne ne peut aujourd'hui trancher. L'article premier de la Déclaration constitutionnelle du CNT souligne que l'islam est la religion de l'Etat et la charia islamique est la source principale de la législation. Le risque islamiste n'est pas évacué malgré les dénégations de membres visibles du CNT, tels Moustapha Al-Sagisli, ancien leader de la jeunesse, numéro deux du ministère de l'Intérieur du gouvernement provisoire, Abdelhafiz Ghoga, porte-parole, vice-président du CNT et avocat, Mahmoud Djibril, le Premier ministre du CNT, ou encore Ali Tarhouni, opposant en exil qui est rentré à Tripoli pour occuper le poste de ministre du Pétrole et des Finances. En cas d'élections parfaitement transparentes, des “barbus” seront élus. Il est impossible aujourd'hui de savoir ce qu'ils pèsent politiquement. En 1990, lorsqu'ils avaient tenté de renverser Kadhafi, cela n'avait pas marché. Depuis, ils n'ont pas réussi à élargir leur cercle d'influence. La question se pose par ailleurs en Tunisie et en égypte, où les dictateurs Ben Ali et Moubarak sont tombés avant Kadhafi. Bon, les sociologues avertissent que la société libyenne est “très conservatrice” et que, par conséquent, le nouveau régime libyen se construira en associant religion et tradition. À sa cuisine interne, la Libye post-Kadhafi sera certainement un enjeu de taille pour l'Otan sans laquelle le tyran de Tripoli n'aurait pas été inquiété.
Quel sera le rôle de l'Alliance atlantique ? Ses membres ont fait savoir à plusieurs reprises que leur intervention en Libye, c'est l'anti-guerre d'Irak où il s'agissait du parachutage de la démocratie et que la construction d'un véritable état sera d'abord l'œuvre des Libyens eux-mêmes. En resteront-ils là ? À voir avec les avoirs des Kadhafi placés chez eux et qui devraient retourner aux Libyens et la reconstruction des infrastructures du pays. Après avoir occupé le terrain militaire, les Occidentaux disent se focaliser désormais sur l'aide à la reconstruction et au renouveau d'un état “majeur” dans la région.
La course ouverte à la conférence de Paris ne fait que commencer. Les convoitises seront donc fortes et le CNT est dans l'obligation de satisfaire ses soutiens étrangers. Quant aux voisins de la Libye, la disparition de Kadhafi est une épine enlevée à leur pied. L'Algérie et les pays du Sahel n'ont plus à tenir compte de sa présence, ils peuvent normaliser leurs relations avec ses successeurs. La nouvelle Libye va jouer d'ici un an son va-tout, elle peut tout aussi bien devenir un autre modèle du “printemps arabe” que de sombrer dans des luttes fratricides pouvant conduire au chaos.
D. Bouatta


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