La commission d'enquête parlementaire a pu auditionner tous les acteurs, y compris des membres du gouvernement, des responsables d'institution, des opérateurs économiques, sauf les grossistes qui “n'ont pas répondu à la convocation”. La commission d'enquête sur “la pénurie et la hausse des prix de certains produits alimentaires de large consommation” a remis, dimanche, son rapport final au président de l'Assemblée populaire nationale, et le document a été transmis, le jour même, au président de la République. C'est ce qu'a indiqué, hier, sur les ondes de la radio Chaîne III, le président de la commission, Kamel Rezki. Le rapport est “couvert par une certaine confidentialité jusqu'à ce que l'Assemblée populaire nationale décide de sa publication”, mais Kamel Rezki en a révélé les grandes lignes. Le président de la commission d'enquête parlementaire met notamment en cause les dysfonctionnements des circuits de distribution et l'inefficience des mécanismes de contrôle. Il y a eu d'abord la hausse des prix des produits sur le marché mondial. “C'est incontestable”, soutient-il, évoquant des études comparatives effectuées par la commission. Mais d'autres phénomènes ont interféré sur le marché national pour provoquer des perturbations. Concernant, par exemple, la pénurie de lait, la commission a remarqué les mauvaises distribution et organisation des quotas dans certaines régions du pays. Kamel Rezki indique que les mécanismes de contrôle existent, mais ils ne sont pas efficients. “Le marché informel occupe une grande place. Il n'y a pas de facturation. On refuse d'utiliser le chèque. Les opérateurs économiques, eux-mêmes, disent qu'ils ne maîtrisent pas leurs distributeurs, ce qui n'est pas normal”, a-t-il constaté. Les grossistes n'ont pas répondu à la convocation de la commission Plus grave, M. Rezki a révélé que la commission d'enquête parlementaire a pu auditionner tous les acteurs, y compris des membres du gouvernement, des responsables d'institutions, des opérateurs économiques, sauf les grossistes. “Les grossistes n'ont pas répondu à la convocation de la commission. Nous ne connaissons pas les raisons de cela. Nous attendons la réponse du ministère du Commerce. Cela nous a créé un petit vide dans notre enquête”, a-t-il regretté, ajoutant qu'une grosse partie des marchandises ne transite pas par des circuits transparents. Le président de la commission cite également l'absence du conseil de la concurrence comme une des causes du dysfonctionnement du marché. La loi sur la concurrence de 1995 a mis en place le conseil, qui, à l'époque, dépendait de la présidence de la République. Cette loi a été amendée en 2003, le conseil est devenu dépendant du Chef du gouvernement. En 2008, la loi a été encore amendée pour placer le conseil sous tutelle du ministère du Commerce. “Ce conseil installé en 1995, et qui a commencé à travailler, a disparu. Jusqu'à aujourd'hui, il n'existe pas”, a-t-il rappelé, indiquant avoir entendu le ministre du Commerce dire qu'il allait être installé avant la fin de l'année en cours. “Les prérogatives de contrôle que détenait le ministère du Commerce ont été dévolues à ce conseil, qui n'existe pas encore. Nous avons trouvé sur le marché des situations de dominance en matière de sucre et d'huile alors que le conseil de la concurrence devait réguler tout cela”, a-t-il constaté, précisant que la situation de dominance, en elle-même, n'est pas interdite par la loi. “Nous avons recommandé l'encouragement de l'investissement dans ces filières pour qu'il n'y ait pas une situation de dominance”, a-t-il annoncé. L'absence de l'Etat dans le circuit du sucre et de l'huile est une autre “anomalie”, selon la commission. “Les unités de production publiques ont été privatisées. Si, au niveau des céréales et du lait, l'Etat peut réguler à travers les offices publics, en matière de sucre et d'huile, il faudrait réfléchir à ce que l'Etat puisse intervenir afin d'éviter les perturbations, comme celle de janvier 2011”, indique M. Kamel Rezki qui parle de la non-maîtrise totale du marché intérieur. La commission ne s'est pas limitée à faire des constats, elle a également émis des recommandations. Elle a suggéré une refonte totale de la politique de subvention de l'Etat que M. Rezki qualifie d'“aveugle”, en rappelant que l'Etat débourse chaque année 300 milliards de dinars pour soutenir les prix des céréales, lait, huile et sucre. “Or, l'huile, la poudre de lait et le sucre ne servent pas uniquement à la ménagère. En dehors du pain, la semoule sert à faire des pâtes. L'Etat soutient donc les boissons, les yaourts, les pâtisseries, etc. Il faudrait un contrôle pour suivre la traçabilité de l'utilisation de ces matières”, estime l'invité de la rédaction de la Chaîne III, qui plaide pour l'ouverture d'un débat national pour revoir le système de soutien. “Il vaut mieux soutenir la production, au lieu de la consommation. Et puis établir un fichier des catégories démunies pour que le soutien aille à ces catégories pour qu'il ne soit pas détourné”, recommande-t-il, trouvant anormal que riches et pauvres achètent tous le sachet de lait à 25 DA et indiquant que les transferts sociaux prévus dans le projet de loi de finances 2012 avoisinent les 1 500 milliards de dinars. “Ce soutien aveugle est difficile à appliquer. Nous avons un baril de pétrole qui avoisine les 100 dollars et un budget calculé sur la base de 37 dollars le baril. À 60 dollars le baril, on peut assurer le budget de l'Etat. Mais si le pétrole baisse, d'où pourra-t-on ramener les recettes ?” s'interroge-t-il. “Il faut trouver une formule, peut-être pas une carte de démuni, mais des indemnités versées directement dans les pensions des gens”, propose Kamel Rezki. La commission préconise également de plafonner l'importation en fonction des besoins. “Les importations de matières premières pour la fabrication des produits subventionnés ont pratiquement doublé cette année”, constate-t-il. Meziane Rabhi