Le président russe a le regard braqué sur mars 2001, date à laquelle son fauteuil est remis en jeu. Les assauts de Poutine contre les oligarques sont trop soudains pour ne pas y voir une campagne électorale avant l'heure. La guerre contre les nouveaux maîtres de l'économie et des finances est montée d'un cran avec l'arrestation du président de Loukos (pétrole) et magnat des affaires, Khordorkovsky. Poutine s'est, en effet, retrouvé avec une véritable crise politico-financière. Le rouble a baissé dans les Bourses et l'homme de l'ombre à qui il doit l'ascension, Volochine qui a fait sa carrière et celles des oligarques sous Elstine, a jeté le gant, suscitant l'inquiétude même chez le Premier ministre, pourtant proche de Poutine. La livraison de Khordorkovsky au Fsb (ex-Kgb) est perçue comme une nouvelle illustration de la volonté de Poutine de mettre un terme aux ambitions politiques du multimilliardaire à qui il est reproché de financer l'opposition libérale et de nourrir lui-même des ambitions politiques. Des indiscrétions propagées par la presse publique aux ordres du Kremlin laissait entendre que le patron de Loukos allait acheter des voix aux législatives qui se dérouleront en décembre prochain. Or, Poutine veut non seulement rempliler un autre mandat mais il souhaite également avoir la mainmise sur le prochain Parlement. Ses détracteurs n'hésitent d'ailleurs pas à voir chez lui des tentations tsaristes. C'est du moins ce dont l'accusent une partie des milieux d'affaires et des quelques rares médias indépendants. Poutine, un ancien du KGB, a été sorti de l'ombre, en août 1999, par Eltsine vieillissant et malade, qu'il a remplacé quatre mois plus tard et dont il s'est totalement libéré en mars 2000 lorsqu'il a été élu, à 47 ans, président de la Fédération de Russie, devançant deux grands jokers : Loujkov, le médiatique maire de Moscou, et Primakov, ex-Premier ministre. Grâce au soutien du FSB, jurent ses opposants qui n'arrêtent pas de le décrire “froid”, “dur”, “autoritaire” et “peu soucieux du respect des libertés”. C'est vrai, à l'intérieur de la Russie, on a fini par s'interroger sur son popuralisme, sa politique de mise au pas de la presse et de l'opposition qu'il a fini par intimider et sa stratégie en Tchétchénie. Mais à l'étranger, Poutine a réussi le tour de force de se faire apprécier de l'Occident, à commencer par les Etats-Unis qui, ravalant leurs critiques concernant les droits de l'homme, expliquent que la Russie, même si elle est gérée d'une main de fer, est enfin dirigée. Evidemment, le président russe a donné des contreparties : Moscou ne s'est plus inquiété des agissements de Washington et, dans beaucoup de dossiers, Poutine soutient Bush. La dernière résolution onusienne sur l'Irak est passée comme une lettre à la poste du fait de son retournement dans le camp de la paix. Isolé, Chirac n'avait d'autre issue que de s'abstenir. Le président russe espère se voir confronter dans ses desseins de remettre au pas les pays de la CEI. Justement, la recette de Poutine repose sur la nostalgie de cette Russie où a régné l'ordre, les facilitations sociales et la grandeur à l'extérieur. C'est ce qu'il propose encore mais, apparemment, il doit compter avec le désenchantement, car il a beau avoir rétabli quelques équilibres, les Russes, dans une situation moins précaire, sont devenus exigeants en matière de libertés et voient d'un mauvais œil Poutine ne s'appuyer que sur les militaires et d'anciens cadres du KGB. La guerre contre les oligarques qui ne sont pas que d'anciens des services recyclés dans les affaires a, de ce fait, ses limites. L'intelligentsia et la classe moyenne qui accepte les disparités ne veulent pas d'une gestion à la mode passée, encore moins de retomber dans l'autoritarisme. D. B.