L'affaire Ioukos, que Poutine traîne comme une casserole — alors qu'à ses yeux, c'est le point de départ de la réhabilitation de l'Etat russe — doit connaître son dénouement. La justice va se prononcer aujourd'hui dans le procès de Mikhaïl Khodorkovski. Le géant des oligarques russes, sous les verrous depuis octobre 2003, après avoir été arrêté aux pieds de son jet privé par des agents du FSB. Cet enfant du KGB, qui a été le premier employeur de Poutine. L'ex-oligarque risque une bonne dizaine d'années d'emprisonnement pour un chapelet de délits découlant de son extraordinaire enrichissement dès lors qu'il avait acquis un champ pétrolifère du temps des privatisations sauvages. Le démantèlement de son groupe Ioukos, numéro un du pétrole russe, a refroidi le mouvement des investisseurs étrangers qui ne doutent guère du verdict dont va être frappé, et des dirigeants occidentaux n'ont pas manqué de faire connaître leurs appréhensions et inquiétudes à Poutine s'agissant de la manière avec laquelle il a géré la Russie. Condoleezza Rice, l'égérie de Bush, a même menacé Poutine de mesures de rétorsion s'il persistait à ne pas rouvrir son pays au libéralisme et à la démocratie. L'arrestation “pour l'exemple” de celui qui était la plus grande fortune de la Russie a sonné comme un coup de semonce au sein des milieux d'affaires russes. Les richissimes russes, qui ont bâti leur fortune grâce à des actifs acquis lors de ces privatisations contestées des années 1990, vivent dans la crainte d'être accusés eux aussi de malversations. La plupart de ces nouveaux groupes, véritables monopoles nés sur les cendres d'anciens monopoles socialistes, ont grandi comme Ioukos, profitant du désordre de l'administration fiscale russe pour ne pas dire de sa corruption. D'ailleurs, les patrons russes n'ont pas fait un semblant de solidarité avec leur ex-pair. Ils ont adopté le profil bas, essayant de négocier de nouvelles règles du jeu pour une bonne cohabitation entre le pouvoir et le monde des affaires. Ces conséquences négatives, le Kremlin les admet aujourd'hui après avoir superbement nié les retombées de l'affaire Ioukos. Le PIB russe s'est ralenti, malgré un pétrole qui explose, de l'aveu du ministère du Développement économique. La fuite des capitaux à l'étranger s'est aggravée (9,4 milliards de dollars) alors que le niveau des investissements directs étrangers en Russie reste encore loin de celui de ses voisins d'Europe de l'est. Entravé par cette affaire, Poutine a, de surcroît, assisté à la tombée de pays du Caucase dans l'escarcelle occidentale. La situation est si préoccupante pour lui qu'il vient de regretter publiquement l'ex-Urss dont la chute, à ses yeux, est catastrophique même pour le monde qui fonctionne depuis 1992 sous l'unilatéralisme américain. L'affaire Ioukos a même créé un conflit ouvert au sein du gouvernement sur les réformes économiques et administratives. Ce qui a concouru à exacerber la crise de confiance au sein du pouvoir. En mars dernier, Poutine a convoqué les oligarques pour tenter de tourner la page. Il a promis de réduire le délai légal pendant lequel peuvent être révisées les privatisations à 3 ans, et de faire en sorte de limiter les excès de zèle du fisc. D. B.