La Tunisie, pays qui a ouvert le bal du “Printemps arabe”, comme il a également inauguré la victoire par les urnes de l'islamisme, ouvre l'ère des pouvoirs parlementaires dans le monde arabe. La revendication de la révolution du Jasmin est ainsi consacré : fini les régimes de pères providentiels qui ont tous glissé vers une dictature sinon des pouvoirs à vie, autoritaires et ne laissant aucune marge à l'opposition. Même lorsqu'ils se réclament de la démocratie, ces derniers n'en retiennent que ses aspects procéduriers, comme en Algérie, par exemple. La Tunisie s'est donc dotée dimanche d'une mini-constitution provisoire permettant de désigner le futur président et le chef de gouvernement qui dirigeront le pays jusqu'à la tenue d'élections générales et l'adoption d'une Constitution définitive par l'Assemblée constituante élue le 23 octobre. Les 217 députés ont voté le texte de 26 articles qui régira les pouvoirs publics et permettra un démarrage des institutions de l'Etat, onze mois après la fuite en Arabie Saoudite du président chassé par un soulèvement populaire le 14 janvier. Le texte de loi provisoire a été approuvée peu après minuit par 141 voix pour, 37 contre à l'issue de débats marathon, souvent houleux entamés la semaine dernière, le parti majoritaire à l'Assemblée constituante, Ennahda, ayant essayé à plusieurs reprise de faire passer ses points de vue allant jusqu'à lâcher sur la matrice de l'islamisme, les droits des femmes. Ennahda a en effet négocié les prérogatives du Chef du gouvernement issu du Parlement et qui lui est revenu étant donné qu'il était arrivé en tête avec 40% des voix dans le scrutin législatif, en acceptant sans coup férir les acquis de la Tunisienne, dont l'interdiction de la polygamie, cheval de bataille de l'islam politique. Ce scénario transitoire a fait l'objet d'un accord entre la coalition majoritaire entre Ennahda et deux partis de gauche, le CPR et Ettakatol (20 élus) de Mustapha Ben Jaafar. Cet épisode du processus de normalisation est “un instant historique” et “un départ de la Tunisie nouvelle”, a lancé le président de l'assemblée Mustapha Ben Jaafar, alors que les élus entonnaient l'hymne national et que des députés de la majorité se congratulaient. La mini-constitution définit les conditions et procédures d'exercice des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire jusqu'à la tenue d'élections générales et la promulgation d'une Constitution définitive pour la Tunisie de l'après Ben Ali. Une période transitoire qui devait durer un an, mais aucun délai n'a pas été formellement énoncé dans le texte comme le souhaitait l'opposition. La présidence devrait revenir à Moncef Marzouki, chef du Congrès pour la République (CPR, 29 élus) qui désignera au poste de chef de gouvernement Hamadi Jebali, numéro deux du parti islamiste Ennahda (98 élus). Il devra soumettra son équipe à l'approbation de l'assemblée dans les prochains jours. Le président de la République, “exclusivement Tunisien, de religion musulmane, descendant de parents tunisiens et âgé de 35 ans minimum”, selon la nouvelle loi, est choisi au vote secret à la majorité absolue parmi des candidats qui doivent être parrainés chacun par quinze élus au moins. Lors des débats souvent vifs et contradictoires, des élus avaient proposé en vain d'autoriser la candidature de binationaux et d'énoncer expressément le droit de chaque Tunisien ou Tunisienne d'être candidat à la présidence. La discussion des prérogatives du président a enflammé l'hémicycle. L'opposition a boycotté le vote, arguant que le futur président est dessaisi au profit du Premier ministre qui concentre “trop de pouvoirs” entre ses mains. Le président fixe avec le Chef du gouvernement la politique étrangère du pays. Il est le chef suprême des forces armées, mais ne nomme ou ne révoque les hauts officiers qu' “en concertation” avec le Chef du gouvernement. Une autre disposition controversée délègue “en cas de force majeure” les pouvoirs exécutif et législatif aux trois présidents (président de l'Assemblée, Chefs de l'Etat et du gouvernement) et non plus au seul Premier ministre, comme l'avait souhaité Ennahda. Objet d'âpres négociations de l'opposition, la nomination du gouverneur de la Banque centrale a finalement été laissée au choix concerté des chefs de l'Etat, du gouvernement et de l'Assemblée. Le titulaire de ce poste allait être nommé par le Chef du gouvernement, comme tous les autres hauts fonctionnaires. La pleine indépendance du pouvoir judiciaire a fait l'unanimité. Malgré la longueur des débats, les séances, retransmises en direct à la télévision, ont suscité un engouement sans précédent des Tunisiens, des médias et réseaux sociaux. Les uns rassurés de la démocratie à la tunisienne, d'autres soupçonnant la majorité islamiste de préparer la tyrannie sous couvert de démocratie. D. Bouatta