Une belle aventure a commencé pour Safinez Bousbia en achetant un miroir, en 2003. Dans une rue de la Casbah, elle pénètre dans une petite boutique regorgeant de trésors. Elle fait une rencontre qui changera sa vie et celle de son interlocuteur. Le propriétaire de la boutique, Mohamed El-Ferkioui, est un ancien membre de l'orchestre chaâbi dirigé par cheikh El-Anka. L'accordéoniste sort des photos et d'anciennes affiches de spectacles ; il évoque la belle époque algéroise, où les notes musicales planaient dans les airs de la Casbah, le jour comme la nuit. Cet homme — et la musique aussi — suscite la curiosité et l'intérêt à la jeune femme. Alors, elle décide de partir à la recherche des membres de cet orchestre séparés par la vie, mais surtout par la guerre. Ce beau début de roman a donné naissance au film-documentaire El Gusto. Réalisé par Safinez Bousbia, en partenariat avec l'ENTV, ce long métrage de 88 minutes a été présenté, vendredi dernier, dans le cadre d'une projection-presse. “J'ai fait un recours auprès du ministère de la Culture pour obtenir un visa d'exploitation en septembre dernier, mais je n'ai toujours pas reçu de réponse”, a-t-elle signalé, alors que la sortie dans les salles françaises est prévue pour le 11 janvier 2012. Motivée pour la concrétisation de ce projet, elle a sillonné les quartiers d'Alger, de Marseille et de Paris pour retrouver les autres musiciens partis après l'indépendance. Ceux qui ont rejoint l'autre rive, ce sont d'anciens juifs de la Casbah. Plus qu'une histoire sur le chaâbi, ce documentaire est une autre page sur l'amitié qui a dépassé les barrières religieuses. Ces musiciens vivaient pour le chaâbi en harmonie, leur passion a dépassé les frontières religieuses et culturelles. Cette musique leur a fait oublier “la misère, la faim et la soif”. Tout au long des 88 minutes, de forts témoignages ont été présentés par ces artistes ; parfois ils étaient touchants, émouvants et rigolos. Rachid Berkani (luth), Philippe Castel (fils de Lilli Bassi), Abdelkader Chercham (mandole), Abderrahman Guellati (banjo), Meskoud, El-Hadi El-Anka et les autres reviennent cinquante ans en arrière en partageant leurs souvenirs avec la réalisatrice. Fort en témoignages et riche en images d'archives, le film décrit ces artistes oubliés qui reviennent sur leur passé. La plupart ont vu leur vie basculer ; ils ont été privés de leur passion et, le pire, c'est que “nous n'avons aucun statut, on ne reconnaît pas les artistes”, disent-ils dans le docu. Ce long métrage est poignant par les propos, mais surtout par le vécu de ces hommes qui meurent à petit feu, non pas en raison de leur âge mais par frustration. Plus qu'un documentaire, le projet El Gusto représente une deuxième chance pour ces oubliés de la culture algérienne. En effet, la réalisatrice a visé haut et a redonné un nouveau souffle à ces musiciens. Aidée par Irish Production (irlandaise), Safinez Bousbia a pris le bateau pour Marseille avec ses “amis” de la Casbah. Attendus par leurs anciens acolytes, les retrouvailles étaient explosives. Une grande lueur illuminait leur regard. Plus qu'une rencontre, l'orchestre composé de quarante-deux musiciens s'est reformé en France pour présenter de nombreux concerts internationaux. Depuis 2008, ils ont enregistré un album et ils se sont produits sur de grandes scènes, comme le Zénith de Paris. Par ailleurs, le 9 et le 10 janvier ils seront sur les planches du Grand Rex à Paris. D'ailleurs, l'album de la BO du film sera dans les bacs le 9 janvier, et un livre sur l'aventure El Gusto sera publié l'an prochain. Un simple miroir dans une boutique à la Casbah a bouleversé l'existence de ces personnes. H.M.