Le chef de la diplomatie russe invite le gouvernement syrien du président Bachar Al-Assad à soutenir “sans tarder” les efforts de paix déployés par l'émissaire onuso-arabe Kofi Annan ! Moscou est-il en train de se ranger derrière les arguments de la communauté internationale, l'ONU et la Ligue arabe notamment, au sujet de la Syrie ? L'interpellation publique faite par le chef de la diplomatie russe laisse en effet dubitatif quant on sait que jusqu'ici le régime syrien s'est prévalu des soutiens fermes de Moscou et accessoirement de Pékin, pour commettre sa répression passible du tribunal international. Ce n'est pas une simple exhortation, “sans tarder” est une injonction. “Nous pensons que le gouvernement syrien devrait rapidement et sans délai appuyer l'approche de l'émissaire des Nations unies et de Ligue arabe”, a déclaré Sergueï Lavrov, celui-là même qui donnait du fil à retordre au Conseil de sécurité, en verrouillant toute résolution condamnant les crimes avérés des maîtres de Damas. Avec la Chine, la Russie a usé à deux reprises de son droit de veto pour bloquer des votes condamnant le régime syrien pour le recours à la violence dans un conflit qui, en un an, a fait plus de 9 000 morts parmi la population civile, selon les Nations unies. C'est donc un vrai changement, dès lors que Moscou soutient aujourd'hui la mission de Kofi Annan, qui a effectué la semaine dernière une visite à Damas pour plaider, sans succès jusqu'ici, auprès de Bachar Al-Assad, en faveur d'un cessez-le-feu, de l'envoi d'observateurs et d'un dialogue politique entre le gouvernement et l'opposition. L'ex-secrétaire général de l'ONU, recyclé dans la médiation internationale sur des dossiers délicats, n'a pas pour autant jeté le gant puisqu'en constatant le refus de son interlocuteur de se plier à son plan de sortie de la crise, il devait également annoncer la poursuite de ses efforts de médiation avec l'envoi, cette semaine, dans la capitale syrienne d'experts techniques. Une délégation de l'opposition syrienne arrivera prochainement à Moscou, a également annoncé samedi le ministre russe des AE à la chaîne Rossia 1. Une délégation du Conseil national syrien (CNS), un organe de l'opposition formé en octobre 2011 à Istanbul, a effectué une visite à Moscou en novembre dernier. Lors des rencontres avec le président du CNS Burhan Ghalioun et d'autres dirigeants du Conseil, Moscou avait appelé l'opposition politique à se démarquer de ceux qui donnent une dimension militaire au conflit, ainsi qu'aux bandes armées qui organisent des provocations suscitant une réaction disproportionnée du gouvernement, sans faire la moindre allusion à la répression exercée par le régime de Damas. Le CNS, qui avait déploré le parti pris de Moscou, a annoncé la création d'une aile militaire chargée de recueillir des fonds pour l'achat des armements. Et si Moscou reçoit de nouveau le CNS malgré l'évolution de la situation vers le développement de l'opposition armée, c'est que les lignes ont sûrement bougé au Kremlin. Les propos de Lavrov marquent, quoique l'on en pense dans les capitales occidentales, un changement de la position russe dans le conflit syrien qui donne à penser que Moscou est plus animé par une volonté de faire cesser les violences que de défendre un allié de longue date. Le Kremlin, qui s'apprête à changer de locataire, donne l'impression d'un ralliement russe au scénario le plus souhaité au sein de la communauté mondiale avancé voici un bon bout de temps par la Ligue arabe, qui consiste dans un plan ressemblant à celui qui s'est imposé au Yémen et qui a offert une sortie à l'ex-président Ali Saleh, aujourd'hui réfugié aux Etats unis. Bachar Al-Assad a la possibilité de choisir entre Moscou et Tunis, et s'il s'entête, la Ligue arabe réclamera une enquête internationale sur les violences. Les pays du Golfe qui font la pluie et le beau temps dans l'organisation panarabe n'ont pas attendu : monarchies et principautés ont fermé leurs ambassades en Syrie. Et l'Arabie Saoudite a annoncé l'envoi d'armes aux insurgés syriens. Poutine, qui s'est servi des drames de la population syrienne pour faire revivre chez ses électeurs le temps de l'URSS rivale des Etats-Unis dans le monde bipolaire et qui, dit-on à Moscou et à Washington, va marchander sa politique en Syrie pour faire reculer l'essaimage de lance-missiles américains dans l'ex-Europe de l'Est, a récupéré sans coup férir les clefs du Kremlin. Reste à savoir s'il en sera de même pour son second objectif ? D. B