Depuis le temps qu'il roule sa bosse sur les terrains d'Algérie, d'Afrique et d'ailleurs, Fayçal Haffaf est devenu aussi connu que le loup blanc. Et c'est un loup. Par le flair et la rapidité d'exécution dans les reportages. Quand il flaire un sujet il ne le lâche plus. Pour le reste, il n'a rien d'un prédateur. Tout d'un agneau. Enfin, presque. Un agneau avec des crocs si ça se trouve. On ne devient pas un grand chasseur de l'information en faisant bisous-bisous à tout le monde et en passant son temps à flâner. Si bon qu'il soit comme journaliste, Fayçal Haffaf n'arrive pas à la cheville de l'autre Fayçal, l'intime, le privé celui qui est à mes yeux l'un des hommes les plus hospitaliers que j'ai connus dans ma vie. Pour l'avoir aussi fréquenté à l'étranger, j'ai vu combien sa table était ouverte à tout Algérien de passage. Si stupéfiant que cela puisse paraître, Fayçal invitait même des personnes qu'il connaissait à peine. Vous le rencontrez, c'est l'heure du déjeuner, il vous emmène chez lui illico presto. Sans en informer au préalable son épouse aussi compréhensive que son mari est gentil. Le sens de l'hospitalité étant inscrit dans son ADN, Fayçal ne faisait aucun marketing. Il n'attendait rien de ceux qui bénéficiaient de sa générosité. Qu'ils se révéleront, par la suite ingrats, il n'en a cure. ça ne l'empêchera pas de les inviter de nouveau. C'est sa manière de rendre un bien pour un mal. Sœur Thérésa ? Du tout. Il a simplement une philosophie de la vie qui exclut la rancune et la rancœur, deux virus qui calcinent les cœurs et atrophient le quotidien. Par son élégance naturelle et son mode de vie, Fayçal m'a toujours fait penser à un personnage de roman de Fitzgerald : Gatsby le magnifique. Il est aussi aérien que lui, aussi, comment dire, jouissif et jouisseur. C'est un hédoniste, un épicurien qui a compris que la vie se dévore par tous ses bouts. Avec lui, pas de temps mort, pas de temps perdu. Il ne lâche rien, ne perd rien. Une occasion de reportage se présente à lui ? Ses valises sont prêtes. Une virée avec des amis ? Allons-y les gars. C'est un homme prêt à tout. La main sur la gâchette. Quand on travaillait ensemble pour le même hebdomadaire étranger, il nous arrivait de boucler à deux heures du matin. Je mourrais de sommeil. Lui avait la force de m'entraîner me détendre dans un grand hôtel ! Et je le suivais les yeux fermés. Il était persuasif non pas avec les mots. Mais avec le cœur : il était si obligeant qu'on ne pouvait pas lui dire non. Pour lui la vie est une fête qu'il s'agit d'honorer chaque jour quelles que soit les circonstances. Même les plus dures. Un exemple entre mille : menacé d'expulsion, je broyais du noir avec quelques compatriotes, et voilà Fayçal - qui était dans la même situation que nous - qui s'amène, tiré à quatre épingles. Détail croustillant : il avait un cigare havane à la bouche dont il tirait un plaisir infini. On est resté baba. On dirait qu'il était invité à un mariage. Inconscience ? Non. Pour Fayçal rien ne sert de s'angoisser. Ce qui arrive arrivera, alors à quoi bon se casser la tête pour rien aujourd'hui. Laissons à demain ses problèmes. Heureuse nature, c'est un partisan du Carpe diem qui surfe sur la vie. Et la vie qui sait reconnaître ceux qui l'aiment sans se poser trop de questions lui donnent toujours matière à s'égayer. Je n'ai jamais vu Fayçal s'encombrer de questions métaphysiques sur le sens de la vie. Lui ce qui l'intéresse, c'est de vivre à fond sa vie. Le reste, il le laisse aux apprentis philosophes qui au lieu de vivre passent leur vie à chercher du sens à leurs moindres actes. Blanc de cœur ce loup blanc a, malgré les pépins du quotidien, malgré les difficultés, gardé le sourire de l'homme heureux de son sort, heureux de grignoter la vie telle qu'elle se présente. Le meilleur compliment que j'ai entendu sur lui provient d'une personnalité de premier plan de notre football. Un jour, cet homme aisé, respecté et connu m'avait dit le plus sérieusement du monde que s'il pouvait se réincarner dans une autre vie, il choisirait d'être Fayçal Haffaf. Et Fayçal de rire de cette boutade. Lui a déjà vécu mille vies en une seule en se réincarnant à chaque fois en lui-même. Avec le même plaisir. Et la même générosité… H. G. [email protected]